Lettre à M. Fillon
Cher Monsieur Fillon,
J’ai lu votre lettre dans
les journaux ce matin. Vous nous y
demandez de faire notre choix et vous ajoutez « faites-le en conscience et
faites-le avec exigence ».
A l’issue de cette
réflexion, je viens vers vous avec une demande instante : retirez-vous et
laissez votre parti gagner les élections présidentielles. Vous rendrez ainsi un
double service à la France, d’une part vos idées, dont vous parlez si
éloquemment, parviendront au pouvoir et redresseront la France, d’autre part
vous engagerez ainsi la France sur la voie de la moralisation politique.
Disons d’abord pourquoi vous ne convaincrez plus une partie des Français, dont, en conscience, je fais partie. D’abord, les apparences sont contre vous :
- le travail de votre
épouse a-t-il été fictif ? Nous n’avons que vos dénégations - et les
silences de Mme Fillon - pour l'affirmer, alors que de très fortes présomptions
du contraire se sont accumulées : tout le monde se tait à présent mais dans les
premières heures, de nombreux témoignages de terrain ont apporté la
confirmation de l'inexistence du travail de Mme Fillon, sans compter ses propres
déclarations sans ambiguïté à la télévision britannique. En outre les
travaux de Mme Fillon comme assistante parlementaire ont la fâcheuse propriété
de n'avoir laissé aucune trace, tout comme ses travaux pendant deux ans pour la
Revue des deux Mondes...
- le niveau de
rémunération de votre épouse reste excessif même selon vos propres chiffres (3750
€/mois nets) ; c'est le triple du salaire de débutant et près du double du
salaire moyen des attachés parlementaires. La liste des travaux mise en regard
n’est pas de toute évidence un plein temps : relire les discours (combien
par semaine ?), aller dans des réunions d’associations ou autres… La
captation par votre épouse de la quasi-totalité du budget d’assistant
parlementaire de votre suppléant met même en cause la qualité de son travail
parlementaire : où sont les conseils techniques et juridiques dont il ne
pouvait manquer d’avoir besoin, qui les lui a donnés gratuitement ?
- il y a d’autres « affaires »
potentielles à exploiter, la liste des clients de votre société de conseil, l’activité
de vos enfants ne correspondant pas à des fonctions d’assistant parlementaire,
l’affaire de la Revue des deux mondes… Le Canard enchaîné va continuer à prospérer
ces prochaines semaines…
Il y a ensuite votre recours à la théorie du complot, qui amène avec elle la théorie de votre irresponsabilité. Même si les Français sont friands de ces théories plus ou moins rocambolesques et si cela détourne commodément l'attention de la supposée victime du complot vers les journalistes fauteurs de trouble et autres officines, votre recours à la théorie du complot est irresponsable. On peut appliquer une telle théorie à absolument tout et certains ne s’en privent pas. Tout, par exemple à ma conduite routière : le fait que j'ai été arrêté l'autre jour pour ne pas avoir complètement marqué l'arrêt à un stop est visiblement un complot : la police était en embuscade (pourquoi ? pourquoi à cet endroit précis et à ce moment-là ?), je suis fondamentalement un bon conducteur, au-dessus de tout soupçon (puisque je l'affirme avec force et que je n’ai jamais eu d’ « affaire »), tout cela ne peut être un hasard, le but était de perturber mon activité en me retirant 4 points de permis... Pour facile qu'elle soit, cette mise en cause du reste du monde alors même qu’on est soi-même responsable d’une infraction ou d’un comportement abusif est en elle-même délétère. Non seulement elle jette gratuitement le doute voire davantage sur des gens qui font a priori leur travail, mais encore elle fait le lit d’une irresponsabilité globale du politique. Votre « on veut m’abattre », si l'on va jusqu’au bout de l'argument, implique que, du fait que vous avez été élu par les élections primaires de la droite et que vous êtes donc un candidat crédible à l'élection présidentielle, vous devriez a priori être exonéré de toute obligation morale et n’être plus soumis à aucune investigation journalistique... On peut s’inquiéter de la jurisprudence qui résulterait de ce type d’argument, qui pourrait être utilisé dans l’avenir par n’importe qui. Cette jurisprudence nous mettrait encore plus en dehors de l’esprit général de moralisation de la vie politique adopté par nos grands partenaires européens.
Il est vrai qu’en vous
créant toutes ces difficultés, on joue un mauvais tour à votre parti. Cette
élection a priori imperdable risque à présent de se transformer en second tour
Macron-Le Pen, une Bérézina pour l’ensemble des élus des Républicains et des
partis alliés. N’allez pas à la défaite et n’entraînez pas le pays vers
davantage d’immoralité en politique. Retirez-vous avec dignité en ayant le
souci de désigner un successeur à la fois compétent, charismatique et bien sûr tout
à fait propre moralement et juridiquement. (Je ne prétends pas vous
fournir ici un conseil nominatif.)
En ne faisant pas cette démarche,
vous porteriez une bien lourde responsabilité.
Respectueusement,
un électeur
Respectueusement,
un électeur