23 juin 2011

Autopsie d'une dénonciation (merci la CGT)

Suite au coup médiatique de la CGT sur les réflexions de PSA concernant l’avenir de ses usines, les commentaires pleuvent, en majorité pour dénoncer la duplicité des responsables de PSA, qui disent fabriquer français aujourd’hui mais qui prennent par ailleurs des dispositions pour fabriquer davantage à l’étranger à l’avenir et cela en secret ! La réalité a beau être que PSA a investi deux milliard d’Euros en deux ans en Europe dont 75% en France, le doute est entré dans tous les esprits.

Face au déluge de « yfodrè » et de « yoréka » de la part des stratèges de comptoir, deux remarques de bon sens s’imposent.

D’abord que dirait-on si un groupe industriel de la taille de PSA ne réfléchissait pas à l’avenir ? On reprocherait très vivement leur incompétence aux dirigeants voire on les congédierait sans ménagement, tel Christian Streiff récemment. Gouverner aujourd’hui, c’est plus jamais prévoir et prévoir c’est planifier intelligemment, dans leurs moindres détails, les divers scenarios permettant de faire face à toute éventualité, cela sans doute plus modestement que le Pentagone qui tient à jour une centaine de plans de déploiement militaire, mais néanmoins avec sérieux et des mises à jour en permanence. Et que dirait-on si de tels plans stratégiques étaient sur la place publique ? On sait que l’Etat-major de Napoléon III a fait perdre la guerre de 1870 en dévoilant ses intentions aux journaux ; on imagine ce qu’il en coûterait au Groupe PSA de communiquer ses nouveaux projets et leurs lieux de fabrication à la concurrence.

D’autre part, il faut se préoccuper très activement de restaurer la compétitivité économique de la France. Aucune entreprise ne pourra à terme maintenir d’emplois en France sans une stratégie de compétitivité à l’échelle nationale. Cette désertification industrielle et économique de la France devrait être une préoccupation majeure pour les Français qui, à juste titre, comptent sur leurs entreprises pour leur fournir des emplois, financer la sécurité sociale et l’administration de l’Etat, et assurer la prospérité nationale en exportant des biens et des services. Et pourtant strictement rien ne se passe lorsque les entreprises annoncent que les mauvaises conditions de compétitivité de l’économie française vont les conduire inexorablement soit à la fermeture, soit à la délocalisation, donc à la perte de nos emplois. Ce manque de pragmatisme coupable, qui conduit de trop nombreux politiques à promouvoir sans véritable réflexion des recettes idéologiques issues des siècles passés nous coûte très cher. (Eurostat nous apprend justement ce 21 juin 2011 que les Pays-Bas et l’Allemagne ont parfaitement surmonté la crise financière améliorant leur niveau de vie par rapport à la France qui est restée stable.)

Pourtant les experts ont été nombreux ces dernières années à nous alerter sur la gravité de notre déficit de compétitivité et à proposer des solutions. Que sont donc devenues les 316 propositions émises par Jacques Attali, peu suspect d’être de droite, dans son rapport de janvier 2008 ? En janvier 2011, un nouveau rapport, dû à l’Institut COE-Rexecode, a été remis au ministre de l’économie. Citation : « A partir du début des années 2000, une divergence de compétitivité sans précédent historique est apparue entre l’industrie allemande et l’industrie française, au détriment de cette dernière. Depuis, l’écart de compétitivité s’accroît. » Cet écart croissant de compétitivité est décrit par les chercheurs comme le fruit de la divergence des politiques adoptées par les deux pays. Dès le début des années 2000, l’Allemagne a mis en place une stratégie de compétitivité forte fondée sur la maîtrise des finances publiques, une plus grande flexibilité du marché du travail et la modération salariale (réforme Hartz). Simultanément, la France « impose une réduction forte et uniforme » de la durée du travail par la loi, qui engendre une augmentation croissante du coût moyen de l’heure de travail dans l’industrie. A quoi s’ajoutent les facteurs structurels défavorables à la France habituels : le manque de PME, le poids excessif de la recherche publique, etc. (http://www.vie-publique.fr/actualite/alaune/competitivite-france-allemagne-ecart-question.html)
Selon le service de recherches économiques de Natixis, l’écart de compétitivité vient aussi … des délocalisations de sous-traitants plus fortes en Allemagne : "Quand on regarde un produit allemand par rapport à un produit français, on voit donc que la partie correspondant à la valeur ajoutée locale (allemande ou française) a été réalisée à des coûts salariaux similaires, mais que les consommations intermédiaires importées, réalisées avec les coûts salariaux faibles des pays émergents, sont de plus grande taille en Allemagne, ajoutent-ils. Le coût salarial unitaire total subi pour la production des biens est donc plus faible en Allemagne qu'en France". (http://bercy.blog.lemonde.fr/2011/03/14/ecarts-de-competitivite-france-allemagne-le-poids-de-lexternalisation/)
La frilosité en la matière ne sert donc pas l’objectif de création d’emplois; d'ailleurs les taux de chômage publiés par Eurostat le montrent : sur les quatre premiers mois de 2011 : France = moyenne Union européenne = 9,5% ; Allemagne (y compris l’Est toujours plus ou moins sinistré) = 6,25% ; Pays-Bas (qui n’ont pas d’Est) = 4,5% ...
L’institut COE-Rexecode recommande donc l’adoption d’un « pacte de compétitivité industrielle », afin de réaliser, comme en Allemagne, « une succession de profondes réformes du marché du travail et une politique de compétitivité assumée par les partenaires sociaux et les milieux politiques ».
Pour sauver Aulnay, Sevelnord, leurs fournisseurs de proximité et bien d’autres sites industriels, je dirais qu’on a drôlement intérêt à s’en occuper sérieusement, à droite comme à gauche (et merci à la CGT d'avoir remis ce sujet au centre des préoccupations politiques).