21 octobre 2023

Guerres israélo-arabes : il est temps d'y mettre fin dans la justice

Les commentaires échangés après les événements dramatiques de ces derniers jours sont centrés sur l’horreur de la barbarie et le rejet de l’extrémisme. Ce sont certes les premières idées qui viennent à l’esprit sous le coup de l’émotion. Mais l’analyse doit aller plus loin. Quelles sont les causes de ces désordres ? Quelles solutions peuvent être entrevues au milieu de l’horreur et des massacres ?

Une série de guerres sans fin ? 
Il y a d’abord eu un concert de protestations à l’encontre de l’attaque terroriste perpétrée avec sauvagerie par le Hamas qui a fait sans doute plus de 1200 victimes civiles y compris des enfants de tous âges. L’émotion a à présent changé de camp, avec les représailles comme d’habitude disproportionnées exercées par l’Etat d’Israël sur les Palestiniens, au-delà des limites que permettent les lois de la guerre qui, ici comme en Ukraine, sont largement ignorées par les belligérants. C’est d’ailleurs le résultat du calcul cynique fait par le Hamas : en  provoquant l’Etat d’Israël par une attaque absolument horrible, obtenir en retour de quoi faire le condamner au titre de ses inévitables représailles, et mobiliser à nouveau le monde musulman en ramenant le conflit à une supposée guerre de religion – oubliant au passage la religion chrétienne, également présente chez les Palestiniens depuis l’époque où Jésus prêchait dans la région. En nous en indignant, nous sommes donc tous les relais d’une manipulation machiavélique de grande envergure, sans doute orchestrée par des stratèges iraniens. Mais en même temps, les faits sont là : avec plus de 3000 morts en grande majorité civils, et une crise humanitaire provoquée délibérément qui frappe indistinctement les deux millions de Gazaouis, les représailles dépassent les limites du supportable. Il est temps d’exiger l’arrêt total de ce type d’action de contre-terrorisme qui sont elles-mêmes devenues des actions terroristes.
Destructions à Gaza en octobre 2023

Certes, je ne veux pas ignorer que les juifs connaissent aujourd’hui l’incertitude et même la  peur, dans nos pays comme en Palestine, et c’est en soi insupportable. Je suis très sensible au destin tragique du peuple juif. La communauté protestante française s’est distinguée pendant la seconde Guerre mondiale par les risques qu’elle a pris pour protéger les juifs persécutés et ma famille conserve la mémoire de deux de ses membres qui ont leur arbre au mémorial de la Shoah à Jérusalem entant que « justes parmi les nations ». Mais, précisément avec cet historique, comment ne pas être frappé d’emblée par l'analogie entre le peuple persécuté d’alors et celui d’aujourd’hui ? Il y a un peuple qui est le juif errant d’aujourd’hui, privé de foyer national et droits, et souvent privé de solidarité de la part des autres nations, y compris arabes. Vous aurez reconnu le peuple palestinien. J’ai été également sensibilisé à son destin tragique par des rencontres et des amitiés personnelles avec des individus directement impliqués.

Ce qu’on évite presque toujours de rappeler, c’est que le drame interminable israélo-palestinien est le résultat d’une succession d’événements dans lesquels les puissances européennes ont largement trempé : le partage du monde, y compris méditerranéen, par les grandes puissances, notamment après le démembrement de l’Empire ottoman ; la longue pratique de l’antisémitisme en Europe, jusques et y compris la terrifiante affaire Dreyfus, qui conduit les juifs à souhaiter la création d’un foyer national où, pour une fois, les juifs pourraient vivre en sécurité, les nationalismes européens, nés du détournement de la Révolution française par Bonaparte, qui conduisent à de multiples guerres, à la tragédie de la Grande Guerre et aux folles promesses des Anglais aux sionistes, la shoah qui accélère la création d’un État juif, la guerre froide qui pousse les uns dans les bras des Soviétiques et les autres dans ceux des Américains… Une longue série de défaillances et trahisons des droits humains où les Arabes n’ont qu’une responsabilité bien modeste…

C’est d’ailleurs pourquoi l’Europe, on l’ignore trop, ne reste pas sans réaction. La France gaulliste a lancé au début des années 1970 un dialogue euro-arabe visant une coopération accrue entre l’Europe et les Etats arabes. Elle y entraîne ses partenaires européens et, dès 1975, la CEE amorce des relations avec l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP). L’Union européenne est aujourd’hui le premier fournisseur d’aide au développement de la Palestine, devant les Etats arabes ou les Etats-Unis, et d’autres puissances qui sont surtout prodigues de belles paroles. Pour la période 2021-2024, 1,117 milliard d’euros sont prévus par l’UE à destination des Palestiniens. Cet argent permet à la Palestine de financer des secteurs clés tels que l’éducation ou encore la santé, même si bien souvent les bâtiments reconstruits avec du financement européen sont ensuite détruits par des bombardements israéliens.


Des vies détruites

Trop de commentateurs, notamment ceux qui interviennent sur les chaînes d’information permanente, jugent l’action des uns et des autres sans tenir compte des souffrances des peuples. La plupart des jeunes Palestiniens embrigadés par le Hamas et impliqués dans l’attaque terroriste du 7 octobre sont nés pendant la seconde intifada (2000-2005). Leur seule expérience de la vie a été l’occupation israélienne, puis les sièges et la dévastation des assauts militaires répétés contre cette enclave de 365 km2 avec des taux de pauvreté et de chômage d’environ 50%. Comment peut-on vivre à 2 millions de personnes sur un territoire dont la densité de population, frise les 6000 habitants au km2 (oui six mille, presque autant que la densité de Hong Kong), sans possibilité de quitter le territoire, avec la perspective d’essuyer à intervalles plus ou moins rapprochés des bombardements israéliens ? N’était-il pas choquant, dans l’absolu, de tenir une rave party juste à côté de ce bantoustan surpeuplé et désespéré ? De prétendre construire une paix quand les uns sont installés confortablement dans des pavillons sécurisés et les autres entassés dans des immeubles en mauvais état, et régulièrement soumis à des bombardements ? (Bombardements qui ont fait plus de 5000 victimes en dix ans, avec leur lot de femmes et d’enfants… mais dont les visages ne sont pas autant présents que celles des victimes de l’attaque terroriste du 7 octobre.) N’est-il pas prévisible que lorsqu’un gouvernement base toute son action sur la force et la politique du fait accompli, élevant le mépris du droit international au rang de vertu, construisant un mur au-delà de ses frontières reconnues, et pratiquant le peuplement d’un territoire annexé de manière aussi éhontée qu’illégale, il finisse par provoquer une réaction tout aussi violente ? Qui sème le vent récolte la tempête, dit un proverbe français… Si l’opinion israélienne pouvait à l’occasion du drame actuel, réaliser que les promesses de Bibi Netanyahu étaient fallacieuses et mettait en danger ce qu’elles prétendaient protéger, il y aurait au moins un point de lumière dans un paysage bien sombre.

Trop de commentateurs, sur les mêmes plateaux de télévision, attribuent de plus la responsabilité des événements à la religion musulmane, directement ou indirectement, via sa version la plus militante, investie dans le domaine politique. C'est bien sûr là céder à la tendance naturelle de l’être humain : la désignation de boucs émissaires permet de préserver son estime de soi, y compris – voire surtout – quand on craint d’être mis en cause… Cela dit, que l’islam comporte un élément de valorisation de la violence, ce serait un peu difficile de le nier quand des religieux, notamment parmi les leaders iraniens, se réjouissent ouvertement du massacre des innocents perpétré par le Hamas. Mais nos idéologies et nos religions sont-elles si différentes de l’islam sur ce point ? Faut-il feuilleter très longtemps l’Ancien Testament avant de trouver des récits ou même des commandements qui donnent en exemple des comportements d’une extrême violence ? Faut-il rappeler que, malgré l’enseignement indiscutablement pacifiste du Christ, les théologiens chrétiens, y compris certains des plus grands, ont eu tôt fait de saisir de bien minces prétextes pour bâtir des justifications de la guerre et des conversions forcées ? Pour autant, faut-il y voir une tare congénitale du christianisme ou bien la construction a posteriori d’une justification théologique de choix politiques préexistants ? (Ce qui, selon Jacques Ellul, a participé de la « subversion du christianisme. ») Faut-il jeter le bébé avec l’eau du bain, en méconnaissant tous les apports du christianisme, source d’innombrables et admirables œuvres d’éducation et de solidarité (dont l’hôpital al-Ahli de Gaza, touché par une explosion meurtrière le 17 octobre) dirigé et financé par l’Eglise épiscopalienne de Jérusalem, ou encore la Croix-Rouge/Croissant-Rouge),  voire de mouvements de résistance à l’oppression ? Le judaïsme et le christianisme n’ont-ils pas, chacun pour leur part, glorifié des épisodes sanglants de leur histoire ? La question est de savoir comment ces idées violentes ont été ou peuvent être contrebalancées, et finalement rejetées au rang d’idéologies dangereuses désertées par la majorité des intellectuels et des croyants.

Comment pouvons-nous continuer à faire société commune, musulmans et non musulmans, juifs et non-juifs, chrétiens et athées, sans rétablir le dialogue ? Ne cédons pas à la propagande qui veut toujours accuser, ostraciser, radicaliser, d’ailleurs sans sembler comprendre que la violence est une voie qui n’a d’issue qu’à condition de savoir en sortir. Sauf à aboutir à la destruction totale des régions en conflit et à des sacrifices massifs parmi les populations, il faudra bien un jour que des accords interviennent avec une prise en compte des prétentions légitimes des peuples actuels quelle que soit l’ancienneté de leur légitimité revendiquée sur tel ou tel territoire. 

Exode des Allemands vers l'ouest en 1945

J’ai été inspiré de voir, lors d’une récente visite en Silésie, province du sud-ouest de la Pologne, que, dans ces territoires qui ont connu un nettoyage ethnique de grande ampleur en 1945, les Allemands ont aujourd’hui accepté l’expulsion de près de 5 millions de leurs concitoyens de ce territoire (sur les quelque 12 millions expulsés d’Europe centrale et orientale). Des expulsions qui se sont d’ailleurs accompagnées de la mort violente de plus d’un million de personnes. Malgré l’opposition des associations de réfugiés de l’Est, l’acceptation de cette expropriation a été conclue en 1990 par le traité de Moscou, quarante-cinq ans après les événements. Les Allemands présents à la réunion à laquelle je participais en Pologne ont parlé sans haine de leurs origines silésiennes, de leurs visites dans les villages ou les villes où leurs grands-parents étaient nés... Des témoignages de la coopération germano-polonaise s’affichent ici ou là sur des bâtiments historiques rénovés. Autrement dit, puisque, 85 ans après le début de la première guerre israélo-arabe, il apparaît que les deux peuples ne peuvent pas s’entendre sans aide extérieure, il est temps que la communauté internationale s’unisse pour exiger des concessions symétriques des deux parties : de la part de tous les mouvements qui représentent les Palestiniens la reconnaissance de l’Etat d’Israël dans ses frontières de 1967, ce qui aura le mérite de retirer un argument-clé à la droite israélienne ; et d’autre part l’arrêt des actes contraires à la légalité internationale et un engagement à respecter les décisions des Nations-Unis par l’Etat d’Israël. Cette politique serait meilleure, notamment de la part de l’Europe, que celle qui consiste à accepter de se mettre à la remorque des extrémistes d’un bord ou de l’autre.

La solution au conflit et l’unité de notre société, appelée de ses vœux par le président Macron, sont au prix de concessions mutuelles sur les revendications et d’une absence de compromis sur les valeurs.

Crédits photos, de haut en bas : Assaf Kutin, State of Israel Government Press Office ; Fars News Agency  ; RafahKid Kid, via Wikimedia Commons ; Deutsches Bundesarchiv

 

 

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18 avril 2017

Pénélope, chrétienne et première victime des affaires, amènera-t-elle son mari au changement ?



Dans le tumulte des accusations et les circonvolutions des systèmes de défense, on a très peu parlé des affres dans lesquelles Pénélope Fillon a été plongée. C’est pourtant elle la première véritable victime de l’affaire qui porte son nom. On se représente sans doute assez mal l’épreuve qu’elle a traversée – et qu’elle continue de traverser.

Élevée au Royaume-Uni dans des valeurs chrétiennes sans doute vécues et mises en pratique de manière assez rigoureuse si ce n’est rigoriste, elle s'était mariée – du moins le croyait-on - avec un homme honorable lui-même élevé dans ces mêmes valeurs, et la voici à 60 ans obligée de mentir dans la presse. Depuis le début des affaires, elle n'a accepté de parler, visiblement à contrecœur, qu'une seule fois à un grand journal, cela dans une interview millimétrée qu'on imagine préparée avec le plus grand soin par des professionnels de la communication, afin d'éviter de nuire à la défense de son mari. Elle est, de plus, mise en examen par solidarité conjugale.

Elle découvre ainsi que, dans sa belle-famille, les valeurs chrétiennes se déclinent exclusivement le dimanche. Comme bien des paroissiens ou paroissiennes, chez les Fillon, on dodeline sans doute un peu de la tête tandis que le curé lit l’évangile, par exemple l’évangile selon saint Matthieu chapitre 6, versets 19 à 21 : « Ne vous amassez pas des trésors sur la terre, où la teigne et la rouille détruisent, et où les voleurs percent et dérobent; mais amassez-vous des trésors dans le ciel, où la teigne et la rouille ne détruisent point, et où les voleurs ne percent ni ne dérobent. Car là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur. »

Ou alors au chapitre 5 du même évangile, versets 23 à 26 : « Si donc tu présentes ton offrande à l'autel, et que là tu te souviennes que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande devant l'autel, et va d'abord te réconcilier avec ton frère; puis, viens présenter ton offrande. Accorde-toi promptement avec ton adversaire, pendant que tu es en chemin avec lui, de peur qu'il ne te livre au juge, que le juge ne te livre à l'officier de justice, et que tu ne sois mis en prison. Je te le dis en vérité, tu ne sortiras pas de là que tu n'aies payé le dernier quadrant. »

Il est vrai que le président américain Coolidge s'était distingué en rentrant du culte dominical en n'ayant retenu que "le pasteur avait parlé du péché" et qu'il "était plutôt contre." Mais chez les Fillon, dès la sortie de l’église, on passe à la vraie vie, et là, bien loin du prêche, on cherche surtout à accumuler le plus d’argent possible tout en n'admettant jamais aucune responsabilité, ou quelque éventualité de réparation que ce soit – que ce soit pour des questions d’enrichissement personnel ou par exemple pour une quelconque « bavure » des colonisateurs français envers les peuples mis sous tutelle.

C’est donc à une version assez éloignée de la lettre des évangiles qu’adhère la famille Fillon. Le candidat François Fillon, pourtant, n’hésite pas à se revendiquer chrétien. Il s’agit certes avant tout d’une adhésion traditionnelle et identitaire, porteuse de messages politiques. Mais peut-on rester longtemps ainsi dans l’ambiguïté de revendiquer une religion sans adhérer à son message ? Sans doute pas. Bruno Bettelheim a montré à quel point ceux qui ont cru abuser le système nazi en se prêtant aux rituels hitlériens avec une réserve mentale ont été en fait absorbés malgré eux par le système. De même peut-on se contenter d’allumer des cierges et d’écouter des homélies sans être un jour touché par le message évangélique ou par une protestation de sa conscience ? Certes, au vu de ses positions de ces trois derniers mois, François Fillon pourrait se raidir dans son orgueil et se figer dans ses contradictions jusqu’à la fin de ses jours. Pénélope vivrait alors, telle un personnage de tragédie grecque, déchirée entre sa loyauté conjugale et sa conscience chrétienne, cela en sus de son chemin de croix judiciaire. Gageons que François Fillon, par amour pour sa femme, ne la laissera pas souffrir ainsi. Il reste dès lors deux issues possibles.

Première hypothèse, François Fillon est le « jeune homme riche » que Jésus aima  et à qui il conseilla de vendre tous ses biens, pour constater ensuite qu’il s’éloignait de lui, accordant finalement la préférence aux biens de ce monde (évangile selon Saint-Marc, chapitre 10, versets 21 à 25). C’est un premier scenario, car « il sera difficile à ceux qui ont des richesses d'entrer dans le royaume de Dieu ! » On devrait alors assister après les élections à une forte et rapide érosion des convictions catholiques affichées de François Fillon. La tristesse de François mais aussi de Pénélope Fillon seront à l’égal de celle du jeune homme riche de l’évangile.

Deuxième hypothèse, le christianisme de François Fillon prend le dessus et il y aura dans quelques années une série de révélations voire de réparations. François Fillon quittera la politique après quatre décennies d’une carrière brillante tout en marquant à quel point il donne la préférence aux réalités spirituelles sur les accomplissements humains. J’ai la faiblesse de croire que Pénélope mais aussi François Fillon seront alors soulagés, libérés et heureux. Ce serait aussi une joie pour les autres chrétiens et un exemple pour les générations suivantes.


08 février 2017

Lettre à M. Fillon



Cher Monsieur Fillon,

J’ai lu votre lettre dans les journaux ce matin. Vous  nous y demandez de faire notre choix et vous ajoutez « faites-le en conscience et faites-le avec exigence ».
A l’issue de cette réflexion, je viens vers vous avec une demande instante : retirez-vous et laissez votre parti gagner les élections présidentielles. Vous rendrez ainsi un double service à la France, d’une part vos idées, dont vous parlez si éloquemment, parviendront au pouvoir et redresseront la France, d’autre part vous engagerez ainsi la France sur la voie de la moralisation politique.

Disons d’abord pourquoi vous ne convaincrez plus une partie des Français, dont, en conscience, je fais partie. D’abord, les apparences sont contre vous :
- le travail de votre épouse a-t-il été fictif ? Nous n’avons que vos dénégations - et les silences de Mme Fillon - pour l'affirmer, alors que de très fortes présomptions du contraire se sont accumulées : tout le monde se tait à présent mais dans les premières heures, de nombreux témoignages de terrain ont apporté la confirmation de l'inexistence du travail de Mme Fillon, sans compter ses propres déclarations sans ambiguïté à la télévision britannique. En outre les travaux de Mme Fillon comme assistante parlementaire ont la fâcheuse propriété de n'avoir laissé aucune trace, tout comme ses travaux pendant deux ans pour la Revue des deux Mondes...
- le niveau de rémunération de votre épouse reste excessif même selon vos propres chiffres (3750 €/mois nets) ; c'est le triple du salaire de débutant et près du double du salaire moyen des attachés parlementaires. La liste des travaux mise en regard n’est pas de toute évidence un plein temps : relire les discours (combien par semaine ?), aller dans des réunions d’associations ou autres… La captation par votre épouse de la quasi-totalité du budget d’assistant parlementaire de votre suppléant met même en cause la qualité de son travail parlementaire : où sont les conseils techniques et juridiques dont il ne pouvait manquer d’avoir besoin, qui les lui a donnés gratuitement ?
- il y a d’autres « affaires » potentielles à exploiter, la liste des clients de votre société de conseil, l’activité de vos enfants ne correspondant pas à des fonctions d’assistant parlementaire, l’affaire de la Revue des deux mondes… Le Canard enchaîné va continuer à prospérer ces prochaines semaines…

Il y a ensuite votre recours à la théorie du complot, qui amène avec elle la théorie de votre irresponsabilité. Même si  les Français sont friands de ces théories plus ou moins rocambolesques et si cela détourne commodément l'attention de la supposée victime du complot vers les journalistes fauteurs de trouble et autres officines, votre recours à la théorie du complot est irresponsable.  On peut appliquer une telle théorie à absolument tout et certains ne s’en privent pas. Tout, par exemple à ma conduite routière : le fait que j'ai été arrêté l'autre jour pour ne pas avoir complètement marqué l'arrêt à un stop est visiblement un complot : la police était en embuscade (pourquoi ? pourquoi à cet endroit précis et à ce moment-là ?), je suis fondamentalement un bon conducteur, au-dessus de tout soupçon (puisque je l'affirme avec force et que je n’ai jamais eu d’ « affaire »), tout cela ne peut être un hasard, le but était de perturber mon activité en me retirant 4 points de permis... Pour facile qu'elle soit, cette mise en cause du reste du monde alors même qu’on est soi-même responsable d’une infraction ou d’un comportement abusif est en elle-même délétère. Non seulement elle jette gratuitement le doute voire davantage sur des gens qui font a priori leur travail, mais encore elle fait le lit d’une irresponsabilité globale du politique. Votre « on veut m’abattre », si l'on va jusqu’au bout  de l'argument, implique que, du fait que vous avez été élu par les élections primaires de la droite et que vous êtes donc un candidat crédible à l'élection présidentielle, vous devriez a priori être exonéré de toute obligation morale et n’être plus soumis à aucune investigation journalistique... On peut s’inquiéter de la jurisprudence qui résulterait de ce type d’argument, qui pourrait être utilisé dans l’avenir par n’importe qui. Cette jurisprudence nous mettrait encore plus en dehors de l’esprit général de moralisation de la vie politique adopté par nos grands partenaires européens.

Il est vrai qu’en vous créant toutes ces difficultés, on joue un mauvais tour à votre parti. Cette élection a priori imperdable risque à présent de se transformer en second tour Macron-Le Pen, une Bérézina pour l’ensemble des élus des Républicains et des partis alliés. N’allez pas à la défaite et n’entraînez pas le pays vers davantage d’immoralité en politique. Retirez-vous avec dignité en ayant le souci de désigner un successeur à la fois compétent, charismatique et bien sûr tout à fait propre moralement et juridiquement. (Je ne prétends pas vous fournir ici un conseil nominatif.)
En ne faisant pas cette démarche, vous porteriez une bien lourde responsabilité. 

Respectueusement,  

un électeur

17 septembre 2015

Guy Béart, ce migrant


La mort de Guy Béart ne laisse personne indifférent mais dit-on assez que cet artiste emblématique de Saint-Germain-des-Prés, cet ambassadeur de la culture française fut d’abord un migrant ? La France oublie trop facilement ce qu’elle doit aux migrants.
Certes la migration a toujours été, est et sera toujours une réalité qui provoquera d’abord des peurs. Mais la raison doit ici être appelée à la rescousse.
Une politique de rejet des migrants aurait privé la France de, par exemple, Maria Salomea Skłodowska, d’Alberto Wladimiro Alessandro Apollinare de Kostrowitzky, de Guy Behar-Hassan, d’Ezra Benveniste ou de Pietro Cardini, qui sont sans doute plus connus sous leurs noms francisés de Marie Curie, Guillaume Apollinaire, Guy Béart, Emile Benveniste et Pierre Cardin. (Encore me suis-je borné à collecter quelques noms en tête d’une liste alphabétique bien plus longue.)
Pour en rester à ces cinq noms, il s’agit d’une scientifique d’exception, venue en France à 24 ans parce que les carrières universitaires étaient fermées aux femmes en Pologne à l’époque, première femme à obtenir un prix Nobel, et seule (homme ou femme) à en obtenir deux dans deux domaines scientifiques différents ; il s’agit ensuite d’un poète majeur du 20ème siècle, sujet polonais de l’Empire russe né en Italie, mort à 38 ans (en 1918) sous l’uniforme français ;il s’agit encore du chanteur que tout le monde pleure aujourd’hui, distingué par le Prix de l’Académie française pour l’ensemble de son œuvre, né au Caire et scolarisé à Beyrouth avant de venir à Paris en quête de son diplôme d’ingénieur ; il s’agit aussi de l’un des plus grands linguistes du 20ème siècle, né à Alep en Syrie (tiens ?) et devenu français à 22 ans. Que dire enfin du représentant emblématique de la haute couture et du bon goût français, né en Italie près de Trévise, qui est par ailleurs un entrepreneur et chef d’entreprise créateur d’emplois, et l’un des Français les connus à l’étranger ?
Pendant que j’y suis, nous devrions aussi nous passer du plus français des Gaulois, Astérix, dont les auteurs sont tous deux nés de parents étrangers, respectivement italiens et polonais.
Alors, quand je vois aujourd’hui la quantité d’ingénieurs, de techniciens et d’autres personnes de haut niveau parmi les migrants syriens et irakiens qui entrent actuellement dans l’Union européenne – et qui ont trouvé le courage et la détermination nécessaires pour entreprendre ce dangereux voyage , je pense que ce sont les pays hôtes qui sont les véritables et indiscutables gagnants.  
Par ailleurs il y a quelques faits à prendre en compte concernant notre avenir. D’après le  commissaire européen Cecilia Malmström  intervenant en 2012 à la Haye lors de la consultation sur les migrants et les réfugiés, si elle était privée d’immigration, l’Union européenne verrait sa population en âge de travailler diminuer de 12% d’ici 2030. Il y a déjà aujourd’hui un déficit estimé entre 380.000 et 700.000 personnes employables dans les technologies de l’information, et d’ici 2020, il y aurait un déficit de deux millions de personnes employables dans le secteur de la santé.
En clair, s’il n’y avait pas eu d’immigration jusqu’à présent, il n’y aurait pas assez de personnel pour s’occuper de ma vieille mère dans sa maison de retraite, et s’il n’y en avait plus à partir de maintenant, il n’y aurait personne pour s’occuper de moi quand  j’en serai à ce point à mon tour !
Comme lors des précédentes vagues d’immigration, celle d’aujourd’hui va d’abord exiger un effort de la part de tous mais une fois que les migrants seront installés, ils seront les bâtisseurs de nos pays, leur nouvelle patrie, dont ils seront demain les Marie Curie ou les Guy Béart.

11 janvier 2015

Merci pour ce moment républicain, ou comment nous n’avons jamais atteint la Place de la République


14h00 : départ de notre banlieue sud. Les parkings sont blindés autour de la gare de RER et plein de gens convergent à pied armés de bonnes intentions républicaines. Le RER va être un four, en on n’y entrera pas comme dans un moulin… Dans ce cas, tant pis, on attaque l’autoroute du sud en voiture. Pas un chat (merci Bison Futé). Stationnement près de la porte d’Orléans dans un lieu qui restera secret (à la campagne, on ne donne pas ses coins à champignons, parce que sinon il n’y en a pas pour tout le monde, alors je ne vais tout de même pas vous dire où je me stationne…)
14h30, métro Porte d’Orléans, 2ème station de la ligne, on s’écrase sur les malins qui sont montés en tête de ligne. A la station suivante montent les derniers qui arriveront à s’insérer dans le wagon, en poussant à l’extrême les limites de compressibilité du corps humain. Après 20 minutes de trajet pénible mais dans un bon esprit (sauf pour deux touristes chinois égarés sur la piste d’un musée et qui sont un peu surpris de trouver le métro de Paris plus bondé que celui de Shanghai un dimanche), on a
choisi de s’éjecter à la station Etienne Marcel, pour éviter la foule de Réaumur-Sébastopol. Et ça marche ! On enfile dans la large avenue de Turbigo, qui doit nous amener tout droit au but, on franchit allègrement les premiers hectomètres avec pour seul obstacle la traversée du Boulevard de Sébastopol où quelques automobilistes peinent déjà quelque peu à faire respecter leurs droits…

15h00 : tout de suite après le Boulevard de Sébastopol ça se densifie drôlement. Les gens commencent à faire du sur-place. Comme il est 15 heures, on imagine naïvement que la tête du cortège doit s’ébranler au même moment en direction de la Place de la Nation et qu’après avoir piétiné une bonne heure, on va pouvoir emboîter le pas. Que nenni ! Tout le monde est à l’arrêt, dans une ambiance bonne enfant avec des vagues d’applaudissements, ici et là une Marseillaise chantée très faux (comme il se doit), des parents avec des poussettes qui insistent pour traverser le cortège d’est en ouest ou l’inverse, des panneaux polyglottes « Ja jsem Charlie, ich bin Charlie, yo soy Charlie, etc… », des panneaux humoristiques, engagés, des panneaux avec des crayons de couleur, une ou deux « unes » de Charlie Hebdo, beaucoup d’enfants, le sentiment partagé d’une grande victoire du peuple sur le terrorisme…
16h00, on a fait trois cent mètres en une heure, on est au métro Arts et Métiers, il resterait quatre cent mètres à faire pour atteindre le départ de la manif. En déployant des trésors d’ingéniosité, on gagne encore cent mètres, pour rencontrer un flux sans cesse plus important de personnes qui rebroussent chemin : la police aurait barré l’accès à la place de la République car il y a trop de monde. En voilà une manif bien organisée ! En parlant de police, malgré tout le battage sur son déploiement massif, je n’ai toujours pas vu l’ombre d’un CRS… Heureusement les courageux combattants du califat n’ont pas osé se montrer… En revanche, on a vu les pompiers, qui ont dû traverser plusieurs fois la foule avec leurs ambulances. Toutes sirènes hurlantes, ils ont pu se frayer un chemin assez rapidement malgré la densité du cortège. Je me demande s’ils ont entendu les gens les applaudir... Pas convaincus par tous ces défaitistes qui rebroussent chemin, nous insistons un peu dans la direction de la République, on est venu pour ça, après tout. Mais, seuls contre tous, le découragement finit par nous gagner, nous faisons demi-tour et nous nous jettons dans la première rue à gauche pour quand même essayer de converger vers la Nation ; tiens, à défaut de Boulevard Voltaire, on est rue Volta ; c’est la marche républicaine du pauvre ?
16h30 : ayant fait volta-face (désolé, le coup est parti tout seul), nous venons donc de renoncer à notre objectif qui était de marcher de la République à la Nation pour soutenir la démocratie et les droits de l’Homme. Mais la rue Réaumur nous tend les bras, puis dans son prolongement la rue de Bretagne, et enfin la rue Froissart. Nous nous jetons dans cette direction et débouchons Boulevard Beaumarchais. Là une foule impressionnante défile … en direction de la Bastille et non de la Nation… Obstinés, nous enfilons une rue latérale pour rejoindre le boulevard Voltaire. Longue de quelque quatre cent mètres, la rue est occupée à moitié par rien moins de vingt-huit fourgons de CRS tous moteurs tournants… On tousse. Il faudrait interdire Paris aux fourgons de CRS, Madame Hidalgo ! Et là, enfin, nous posons le pied sur le parcours de la marche républicaine, avec le même ravissement qu’a dû éprouver Amundsen en arrivant au pôle Nord (ou peut-être au pôle Sud).
17h00. Nous faisons donc enfin nos premiers pas sur le parcours de la marche républicaine proprement dite, sur les traces de notre Président et de ses 47 ou 48 collègues étrangers, qui sont passés par là il y a bien longtemps. Peut-être que tous ces gens aux fenêtres les ont vu passer ? En tous cas, les CRS sont maintenant plus nombreux que les arbres et des tas de barrières nous canalisent. La foule est compacte,  amicale, fraternelle. Un grand ballon bardé de slogans survole la manif.
Les Marseillaises se succèdent, dont une chantée juste ! J’entre en grande conversation avec un jeune homme. Il semble qu’on soit d’accord sur tout. Mais le pas est lent et la Nation est encore loin. Sept cent mètres plus loin, place Léon Blum, face à la mairie du 11ème arrondissement, on fait le point. La plante des pieds de certains commence à donner des signes de fatigue, il faut rentrer. Une petite marche vers le métro Ledru-Rollin (une station pas fermée) et nous voilà sur les quais bondés de la ligne 8 ; nous repartirons serrés comme des sardines vers la Porte Dorée, où plusieurs trams bondés nous passeront sous le nez – mais pourquoi ces trams tout neufs sont-ils si petits ? Le trafic des trams s’arrête d’ailleurs suite à un malaise, on attend les pompiers, je pars à pied vers la Porte d’Orléans et ramène la voiture… Quelques aléas plus tard, nous retrouvons notre maison, il est presque huit heures du soir et on a passé qu’une demi-heure sur une bien petite section du parcours. Merci pour ce moment républicain, M. Le Président, dommage que ç’ait été si court.
Comme personne ou presque n’a circulé aux endroits prévus au moment prévu, ce n’est pas étonnant que le comptage des participants soit difficile. Il faudrait une photo aérienne très précise, prise vers 15 heures pour tenir compte de tous ceux qui étaient stockés comme nous dans les rues avoisinantes. La télé a fini par dire qu’on était deux millions à Paris. C’est bien mais je suis presque déçu. Étant donné la désorganisation, je pensais qu’on était plus.

Plus sérieusement, ç’a été un moment fort de fraternité et d’unité, où tous se sont sentis inclus. Dans un tel moment, ceux qui ont rejoint la France depuis peu y trouvent leur place sans difficulté (comme cette famille d’origine indienne qui nous a copieusement marché sur les pieds pour s’assurer une place dans le métro).
La formule magique, ce n’est ni l’intégration ni l’assimilation, c’est l’adhésion. C’est l’adhésion aux valeurs républicaines et démocratiques qui a attaché très rapidement mes aïeux alsaciens à la France malgré des différences de culture et de langue très importantes avec la « France de l’intérieur ». C’est ce qui peut visiblement fédérer tout un peuple aujourd’hui au-delà de ses diversités.