20 août 2008

Simplification administrative : la France, médaille d’or du conservatisme

Parmi mes étonnements « persans », les remous autour des propositions de simplification administrative du rapport Attali auxquels Nicolas Sarkozy s’est inexplicablement en partie opposé.
Pour comprendre la nécessité et l’urgence de ces réformes, comparons les structures administratives de l’Aisne, département d’origine d’un de mes grands-pères, avec celles d’un pays que je connais cette fois par mariage, les Pays-Bas : l’Aisne est divisée en 5 arrondissements, 42 cantons et 816 communes (et 26 communautés de communes), alors qu’il n’y a aux Pays-Bas, pour tout le pays, que 12 provinces et 438 communes… Deux fois plus administrée, l’Aisne est pourtant 6 fois plus petite que les Pays-Bas et 30 fois moins peuplée. L’administration française (de l’Aisne) est donc 60 fois plus morcelée. A l’échelon national, la population moyenne par commune aux Pays-Bas est de 37 830 habitants contre 1 542 en France.
En outre, l’administré néerlandais se trouve face à quatre échelons administratifs : communal, provincial, national et européen. Il lui est assez simple de comprendre leurs prérogatives respectives. Le Français, lui, doit en théorie avoir mémorisé le rôle de huit niveaux d’administration : communes, communautés de communes, cantons, arrondissements, départements, régions de programme, Etat et Europe. Que l’instruction civique doit sembler facile aux écoliers néerlandais ! Ceux-ci sont d’autant mieux préparés à participer à la vie publique qu’ils en comprennent a priori l’organisation.
En termes de territoire, en Belgique, la valeur médiane des territoires communaux est de 40 km2 ; en France de 10,7 km2 – et la valeur médiane des populations communales de 11 265 habitants en Belgique contre 380 habitants en France.
Pourquoi ? C’est très simple : d’une part ces pays – de même que l’Italie, le Canada ou le Royaume-Uni - ont déjà réformé leur administration en profondeur alors que la France, pourtant laïque, entretient religieusement l’héritage des paroisses de l’Ancien Régime et des départements de la Révolution. Résultat, un quart de la population française vit dans les près de 32 000 communes de moins de 2000 habitants, un autre quart dans les 3764 communes de 2 000 à 10 000 habitants, un autre quart dans les 762 communes de 10 000 à 50 000 habitants et le dernier quart dans 112 communes de plus 50 000 habitants (dont 14,5% dans 102 villes de 50 à 200 000 habitants et 9% dans 10 villes de plus de 200 000 habitants.) 10 000 communes, soit plus du quart tout de même, ont moins de 200 habitants ; comment pourraient-elles disposer d’un exécutif compétent et des ressources nécessaires pour assurer les services dus à la population ? Cette situation est non seulement inutilement dispendieuse mais encore profondément injuste.

D’autre part l’adaptation des structures administratives est un souci permanent chez nos voisins. Aux Pays-Bas, dès que la population d’une commune passe sous un seuil donné, on étudie et on réalise une fusion de communes. En France ces trois dernières années, il y a eu davantage de créations de communes par division de communes préexistantes que de fusions ! Pas étonnant que nous ayons toujours 36783 communes en France dont 36571 en France métropolitaine, soit autant que les 14 autres pays d’Europe qui constituèrent pendant un temps l’Europe des 15.

Le fait que nos communes soient trop petites n’échappe à personne ; c’est pourquoi elles ont du s’associer pour faire face aux investissements nécessaires à la collectivité. Résultat des courses, en janvier 2006, 32 826 communes (soit 90% des communes de France métropolitaine) étaient regroupées dans pas moins de 2 558 structures d'intercommunalité de 5 sortes différentes ; nous avons, en ordre décroissant d’intégration :
- 14 communautés urbaines
- 169 communautés d'agglomérations
- 2400 communautés de communes
- 5 syndicats d'agglomération nouvelle, une catégorie ancienne en voie de remplacement par les communautés d'agglomération,
- et depuis 1995 des « pays », territoires caractérisés par une cohésion géographique, économique, culturelle ou sociale, dont les élus et les acteurs économiques éprouvent le besoin de se consulter mutuellement sur des projets locaux.
Quelle complexité inouïe. Pendant ce temps là aux Pays-Bas, on se contente de fusionner entre elles les communes trop petites en veillant à répartir intelligemment les services entre les différentes agglomérations afin de leur donner à chacune une part de l’activité et à éviter de construire de nouveaux bâtiments.

Et les départements ? Créés en 1790 par l'Assemblée constituante, leur taille devrait permettre à tout administré de rallier le chef-lieu, siège de l’autorité administrative, en moins d'une journée de cheval. L’idée était à l’époque démocratique et révolutionnaire. Mais depuis on a inventé – entre autres - l’automobile, et la distance parcourable par jour – en sept heures - est passée de quelque 30 km à plus de 500, hors autoroutes… Nous avons donc la même administration que du temps des diligences et des chaises de poste, et nous en sommes fiers, nous le pays du Rafale, du TGV et de la carte à puce !
Le département n’a plus aucune espèce de logique à l’époque d’Internet, d’autant plus que ses attributions sont largement en concurrence avec celles de la région.

Que peut-on faire ? Il suffirait appliquer les recommandations du rapport Attali, que je rappelle ci-dessous :

- faire disparaître en dix ans l'échelon départemental, ce qui permettrait de clarifier les compétences et réduire les coûts de l'administration territoriale ;- transformer les intercommunalités en « agglomérations », entités de niveau constitutionnel, et de leur transférer la charge de répartir les dotations aujourd'hui versées directement par l'État aux communes et aux intercommunalités (ces intercommunalités renforcées exerceraient certaines des compétences exercées par les départements) ;- renforcer les régions dans leurs compétences traditionnelles (développement économique, formation professionnelle) au détriment du département (dans le cadre de la révision générale des politiques publiques, il est proposé de concentrer au niveau régional l'essentiel des cadres décentralisés et de supprimer autant que possible les services en département) ;- simplifier l'organisation territoriale en répartissant clairement les compétences entre les collectivités et en accordant à chaque niveau de collectivité des ressources précises (et clarifier les prérogatives de chaque collectivité publique afin d'éviter les surcoûts et des difficultés pour certaines prestations sociales et de services publics) ;- regrouper au siège de la région les services déconcentrés de l'État.
Si on ne veut pas appliquer ces propositions de bon sens, il faut chercher d’autres idées, par exemple au lieu de supprimer nos chers (!) départements, on pourrait supprimer les moyens de transport. Cela dit, qu’il subsiste quelque chose des départements en tant qu’élément d’identité, pourquoi pas - sachant toutefois qu’à partir du 1/1/2009 les plaques minéralogiques de voitures ne feront plus nécessairement référence aux départements. On pourrait par exemple en faire une sorte de circonscription électorale destinée à assurer une bonne représentativité territoriale au sein du Conseil régional. Avec ses 22 régions métropolitaines, à comparer aux 12 provinces au Pays-Bas, la France commencerait à ressembler à nouveau à un Etat moderne. Et l'Etat ferait des économies à hauteur de plusieurs milliards.

Alors, mon étonnement « persan », c’est, au fond, qu’est-ce qu’on attend ?