18 juin 2005

Refonder la construction européenne

Puisque je vous observe depuis la Slovaquie, chers concitoyens, permettez-moi de vous dire que notre gesticulation négative vis-à-vis de l’Europe interloque fortement mes interlocuteurs d’ici. Ils se demandent si ce n’est pas à eux que l’on a voulu dire non, et cela il va falloir le clarifier rapidement. On nous dit que le peuple a parlé. Mais il faut attirer l’attention du peuple sur la mauvaise image des Français en Europe, une image entièrement imputable à notre diplomatie déplorable et à notre méritocratie médiocre. Ces dernières années, nous avons copieusement piétiné la fierté des Turcs, directement insulté les Polonais, humilié à plusieurs reprises les petits pays et malmené les Anglais à grands coups d’axe Paris-Berlin. Le non néerlandais est pour une part dû à notre comportement erratique : sur la chasse comme sur la limitation du déficit budgétaire, la France est la première à enfreindre les règles qu’elle a promues et fait adopter aux autres.
Voilà à présent que nous semblons faire un bras d’honneur aux dix nouveaux entrants. M. Jean-Claude Juncker a même eu « honte ». Reprenons nos esprits !
Qui voudra travailler demain avec un partenaire imprévisible, insensible aux questions d’intérêt général, inaccessible aux demandes de ses partenaires, fermé aux idées qui ne proviennent pas de sa propre culture, incapable de parler les langues étrangères, spécialiste du passage en force et du fait accompli ? La France peut-elle encore prétendre à un leadership européen dans ces conditions ? Le récent sommet européen démontre le contraire. Le génie de la France - pour reprendre l’expression de Dominique de Villepin - en ce moment, c’est l’art et la manière de se mettre à dos les autres nations européennes et nos alliés en général.
Le non au référendum nous rappelle à propos que l’Union européenne, ce n’est pas les Etats-Unis d’Europe. Il y a peu nous étions encore en guerre les uns contre les autres. Nos cultures, nos intérêts ne sont pas naturellement convergents. Ce qui a été tant souligné à propos de la Turquie est tout autant vrai de la plupart de nos partenaires : qu’avons-nous culturellement en commun avec la Pologne ? Tout dans la Société française, marquée par les guerres de religion et la laïcité, rejette avec vigueur le catholicisme flamboyant qui fait l’identité nationale des Polonais. Etudiant actuellement le Slovaque, langue slave occidentale voisine du Polonais, je peux témoigner que ce n’est pas la linguistique qui nous rapproche. Au plan des intérêts économiques, la Pologne comme tous les pays ex-communistes d’Europe centrale est dans une logique de croissance économique libérale à outrance. Qu’avons-nous culturellement en commun avec l’Angleterre, cet autre pays profondément religieux, viscéralement libéral, dont les partis de gauche sont plus proches des Etats-Unis que nos partis de droite ? Ni la langue, ni la politique économique, ni la politique tout court.
J’arrête là l’inventaire. Il n’y a de convergence « naturelle » qu’avec les régions francophones et éventuellement certains pays latins comme l’Italie, la « sœur latine ». Mais faire l’Europe, c’est faire l’effort de passer par-dessus les barrières culturelles.
La première condition d’une entente entre nations indépendantes, comme d’une entente entre individus adultes libres et égaux en droit, c’est le dialogue et la confiance. Le dialogue est fondé sur le respect et l’écoute mutuelle. Or il semble que nous devions encore en acquérir les compétences de base. Là encore, je compte sur une initiative comme celle de Caux pour en apporter les bases (conférence un cœur et une âme pour l’Europe, voir http://www.caux.ch/). Mais il faudra de l’imagination de l’audace pour porter un esprit nouveau jusqu’au sein de l’Europolitique.

P.S.: curieusement, on n’entend guère les propositions alternatives de ténors de la campagne du non. J'espère qu'ils prennent la mesure de leur irresponsabilité.

1 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Ah ceci est fort bien rédigé, père, on a moins mal a la tête en terminant que dans un de tes articles de changer

3:16 PM  

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