08 juin 2005

Référendum européen (suites) : où l’on retrouve les empreintes de MM. Bush et Rumsfeld

Maintenant que la Hollande et la France ont voté non, journalistes et éditorialistes américains s’avisent soudain que le retour à une situation de division de l’Europe pourrait être source d’ennui pour les Américains. Mortimer Sellers, professeur de droit de l’université du Maryland, écrit par exemple dans le Herald Tribune du 2/6/2005 : « le rejet de la constitution européenne menace sérieusement les intérêts américains. »

Mais la division entre l’Europe de l’Est et l’Europe de l’Ouest, qui était sur le point de disparaître, a été délibérément ressuscitée par l’administration Bush lors du débat sur la guerre en Irak ! On se souvient du traitement savamment différencié dont ont bénéficié les capitales européennes selon leur degré d’alignement sur les demandes de Washington. On se souvient de Donald Rumsfeld opposant avec mépris la vieille Europe et la nouvelle Europe. La diplomatie américaine a réussi à tourner l’Europe en dérision, alors que l’impuissance européenne à se faire entendre n’était qu’une surdité américaine. Bravo les communicants américains !

Seulement voilà, les électeurs français ont voté contre cette Europe qui semble leur échapper. Pourquoi se doter d’une diplomatie commune si c’est pour perdre notre droit à la différence vis-à-vis de Washington ? Les partisans du oui, mis sur la défensive, ont dû argumenter que le projet de constitution prévoyant l’unanimité pour une action de la diplomatie européenne, sa préexistence n’aurait rien changé à l’épisode de la guerre en Irak. Paradoxalement, ils ont été obligés de souligner que dans ce domaine le nouveau traité n’apportait rien ! Pile le non gagnait, face le oui perdait !

On se prend à regretter l’époque où les Etats-Unis avaient une véritable politique étrangère, comme du temps de Bill Clinton. C’était certes perfectible –tout est toujours perfectible - , mais c’était cohérent, responsable et ancré dans un solide fondement moral. L’ancien secrétaire d’Etat Madeleine Albright l’a écrit dans son autobiographie : "Bien que les Etats-Unis aient beaucoup en commun avec d’autres nations, ils sont uniques par leur pouvoir et leur influence globale. Cette unicité ouvre d’énormes opportunités mais aussi de dangereuses tentations. Pour le meilleur et pour le pire, les politiques américaines sont toujours prises pour exemple. Cela signifie qu’en l’absence de contre-pouvoir les Etats-Unis doivent avoir la discipline de conformer leurs actions aux principes qu’ils appliquent aux autres. Si nous cherchons à nous placer en dehors ou au-dessus du système international, nous incitons tout le monde à faire de même. Alors, la clarté morale est perdue, le fondement de notre leadership devient suspect, la force de cohésion de la légalité est affaiblie, et ceux qui ne partagent pas nos valeurs trouvent des faiblesses à exploiter. J’ai toujours cru au caractère exceptionnel de la nation américaine, mais c’est parce que nous avons montré la voie en créant des règles qui s’imposent à tous, pas parce que nous constituons une exception à ces règles."

C’était quand même autre chose ! On aura besoin d’une autre Amérique à nos côtés si on veut retrouver une vocation européenne qui ne soit pas anti-américaine.
D’autant plus que les valeurs qui nous unissent sont moins nettes qu’avant. Les Européens sont dégoûtés par cette Amérique qui vit dans un camp retranché, bafoue les droits de l’homme et les conventions internationales, exécute à tour de bras des condamnés à mort jusqu’à des mineurs et des handicapés mentaux. Les Etats-Unis sont plus éloignées des critères d’adhésion à l’Union Européenne que la Turquie (Heureusement, ils ne sont pas candidats.) Dans son article II-62 "Droit à la vie", la constitution européenne précise : 1. Toute personne a droit à la vie. 2. Nul ne peut être condamné à la peine de mort, ni exécuté.

L’Amérique doit apprendre qu’on ne règle pas tout par les armes. Elle doit voir que dans les dernières expériences, les dommages collatéraux ont excédé de beaucoup les résultats positifs lorsqu’il y en a eu. Après les succès initiaux, l’intervention militaire n’a pas fait gagner grand-chose à Haïti, a fait perdre du terrain à la démocratie en Somalie, en a fait gagner en ex-Yougoslavie mais en laissant la région dans un état de choc dont elle n’est pas encore sortie.

Quant à l’Irak, l’avenir nous le dira, mais il est d’ores et déjà clair que le coût de l’intervention est hors de proportion avec les prévisions même les plus pessimistes. Les conséquences économiques sont repoussées à plus tard car pour le moment l’Amérique s’endette, mais elles seront très lourdes. L’Amérique doit voir que sa politique n’est pas soutenable à long terme, car elle conduit à l’exacerbation des conflits, à l’émergence de mouvements de résistance face à l’occupation étrangère et finalement à une aggravation marquée de la menace terroriste.

La politique anti-terroriste américaine serait elle-même plus crédible si les Etats-Unis coopéraient avec les institutions internationales tel que le tribunal pénal international, reconnaissaient leurs responsabilités passées dans la destruction de nombreux régimes démocratiques, délibérément remplacés par des dictatures, notamment en Iran et en Amérique latine, ET leur responsabilité directe dans le financement de mouvements terroristes tels que les fractions dures de l’IRA. C’est certes du financement à base de dons privés, mais il en va de même du financement d’Al Qaïda par les Saoudiens, ce dont on fait grand cas.

En attendant que l’Amérique se dote de dignes successeurs de Bill Clinton et de Madeleine Albright, l’Europe doit, quant à elle, affirmer tranquillement et posément ses valeurs humanistes. Il n’est pas indispensable pour cela d’avoir une constitution ; un préambule ou une charte suffirait. Il sera nécessaire de le faire adopter rapidement par la population de l’Union européenne car le Monde en a un urgent besoin.

1 Comments:

Blogger Antoine Jaulmes said...

J'ajoute ce commentaire le 21/6/2005 : bravo à Condolezza Rice pour son discours courageux au l'Université du Caire lundi 20 juin : ”Depuis 60 ans, mon pays, les Etats-Unis, a cherché à maintenir la stabilité dans cette région du Proche-Orient, au détriment de la démocratie - et n'a réussi à garantir ni l'un ni l'autre. Nous tenons à présent un autre cap. Nous soutenons les aspirations démocratiques de tous les peuples.” Souhaitons que cela soit l'annonce du changement que j'appelais de mes voeux ci-dessus.

1:08 PM  

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