01 juin 2005

Où l’on doute - un instant - de la démocratie

La démocratie a son côté obscur. Et pas seulement dans les films de George Lucas. (Il faut lire le livre tout récent du professeur Michael Mann qui porte ce titre - en anglais, Cambridge University press, 2005 - et qui démontre comment le génocide est l’enfant naturel de la démocratie et de la guerre.)
En ces lendemains de référendums qui décoiffent, on se dit que si Robert Schuman avait soumis à un référendum sa déclaration du 9 mai 1950, nous n’aurions pas fait l’Europe.
Mais un doute se fait jour en ce surlendemain de référendum lorsque la passion du débat et l’amertume de la défaite retombent : et si la majorité de nos compatriotes avaient malgré tout raison ?
Et s’ils avaient confusément senti, au travers des arguments et des contre arguments, que la construction de l’Europe est devenue une fuite en avant, aux étapes mal maîtrisées, au dessein ambigu, aux moyens mal proportionnés aux ambitions ?
On a clairement, avec ce traité constitutionnel grandiose, quitté la politique des petits pas, si chère à Robert Schumann et souvent si efficace. Ne fallait-il pas être plus modeste et arriver au même résultat par étapes ?
Que ce soit l’occasion de remettre l’ouvrage sur le métier, avec la persévérance que nous conseillait Boileau, pour obtenir un texte plus court, plus simple, marqué de davantage de cette indispensable subsidiarité européenne ; que ce soit l’occasion de donner une véritable mission de développement économique à la banque centrale européenne qui, au contraire de son homologue américaine, n’est qu’un gendarme anti-inflation ; que ce soit l’occasion de fédérer les Européens dans un débat politique trans-frontalier et constructif, et l’on aura fait de ce "non" une grande victoire de l’Europe.
Que l’on reste à l’état actuel de discours de défense des intérêts nationaux et catégoriels, de langue de bois et tout ou rien et l’on aura fait de ce non" une grave défaite de l’Europe.
Il y a certes du travail. Lorsqu’on voit les conséquences de ce vote qui nous était décrit comme un vote sans rapport avec la conjoncture interne de la France (remplacement du premier ministre qui avait pourtant survécu à la Bérézina des élections régionales, redistribution des cartes entre les gagnants et les perdants de ce grand poker menteur), on peut s’inquiéter du chemin à parcourir.
En même temps, on n’a pas le choix (et ce ne sera pas la première fois que la France devra rompre avec ses mauvaises habitudes grâce à l’Europe). La question est d’ailleurs adressée autant à la France qu’à ses partenaires européens qui ont voté "oui" : il faut faire de la politique européenne, comme on fait de la politique nationale. La politique européenne n’a pas plus vocation à être un long fleuve tranquille que les scènes politiques nationales. Il faut obtenir que nos media en parlent, que les débats aient lieu dans le public, que les hommes politiques s’y engagent. Cela a d’ailleurs été le point positif du débat référendaire : un intérêt retrouvé pour la politique et pour ses enjeux.
Il faut pour cela des forums et des réseaux européens transnationaux. J’espère que nous vivrons un de ces moments fondateurs lors de la session un cœur et une âme pour l’Europe dans le cadre du centre international d’Initiatives et Changement à Caux (16/8/2005-24/7/2005) voir www.caux.ch . Extrait du programme :
« Nos différences nous condamnent-elles à être divisés? Comment, malgré tout ce qui différencie les peuples européens, renforcer l’esprit communautaire alors même que des frères séparés si longtemps recouvrent la liberté? Sur quelles valeurs communes construire ce destin?
Au-delà des structures politiques, l’histoire et la géographie nous forcent à apprendre à vivre ensemble, à reconnaître en l’autre un partenaire, à acquérir une tolérance active, à développer l’esprit communautaire dans la diversité. Noirs et blancs, immigrants et autochtones, juifs, chrétiens et musulmans, croyants et non-croyants – tous peuvent créer un cœur et une âme pour l’Europe. »