20 avril 2012

Crime sans châtiment n’est que ruine de l’Homme

L’affaire de la tuerie d’Utoya n’en finit plus d’écœurer le monde entier. Les photos du meurtrier norvégien mêlant bravade et provocation à son procès ont fait le tour du monde. Reconnu sain d’esprit, il sait parfaitement qu’il ne peut être condamné à beaucoup plus de vingt ans de réclusion. Et le procès lui donne une tribune mondiale parfaitement choquante. La justice apparaît désarmée et nos sociétés exposées à une récidive. Quant aux familles, elles doivent être encore plus affligées qu’avant à la seule vue de ce meurtrier qui passe un bon moment sous l’œil des caméras de télévision.

M. Breivik poussait même la provocation le 18 avril jusqu’à demander l’acquittement ou la peine de mort - dans un pays qui l’a abolie depuis longtemps. De toute façon, aucune de ces deux peines ne serait juste.

Le mal qu’il a fait à soixante-dix-sept reprises ne pourrait trouver de peine juste même s’il ne l’avait commis qu’une fois.

Comme le héros de « Crime et châtiment », M. Breivik essaie de convaincre et sans doute de se convaincre lui-même qu’il est permis de tuer son prochain si c’est dans pour servir une cause noble et élevée, et que soient donc revues les règles du droit pénal applicables à son endroit. Après tout pourquoi pas ?

Respectueusement, je suggère donc au parlement norvégien de modifier le code pénal pour créer une peine destinée à faire lentement comprendre au meurtrier ce qu’il a fait : qu’il soit condamné à un travail d’intérêt collectif consistant à creuser chaque jour à la main les tombes dont on a besoin dans les cimetières d’Oslo, jusqu’à atteindre le chiffre hebdomadaire de soixante-dix- sept tombes. Le nom d’une de ses victimes lui serait rappelé lors de chaque creusement. Tous les jours, M. Breivik pourrait ainsi réfléchir à la douleur de perdre un être cher. Toutes les semaines, il pourra regretter de s’être acharné sur soixante-dix-sept victimes. Je suggère respectueusement au Parlement norvégien d’établir que cette peine réservée aux tueurs en série soit a priori conçue comme une peine à perpétuité, donc qu’elle soit poursuivie au-delà de la peine de prison, modérée seulement par une dimension de pardon : au-delà de sa libération de prison, le nombre de tombes à creuser diminuera en fonction du pardon accordé par les familles. Si les familles ne le font pas spontanément, M. Breivik pourra bien entendu leur demander pardon.

Certes au début, M. Breivik sera toujours le même, bravache et content de lui, mais au bout de quelques années, il se pourrait qu’il soit rattrapé par sa conscience. Il se pourrait qu’il comprenne mieux les notions de bien et de mal. Il se pourrait qu’il comprenne que la violence ne peut que détruire. Il se pourrait qu’il commence à comprendre la valeur de la vie humaine.

Bien entendu le cas de M. Breivik est extrême, mais l’idée d’un travail d’intérêt collectif dans les cimetières serait applicable à tous les meurtriers. N’y aura-t-il pas demain d’autres candidats à la notoriété qui commettront le même genre d’actes ? Les attentats de Toulouse doivent nous alerter. Une société qui n’est plus capable de faire clairement comprendre ce qu’elle désapprouve est en danger de disparition. Or en répondant à toutes les situations par la violence, en envoyant des militaires de par le monde régler des problèmes, en laissant les jeux video et la télévision montrer des centaines de meurtres sans montrer leurs conséquences, notre société ne manifeste pas clairement sa désapprobation de la violence. Sans un message clair à propos de la violence, notamment – mais pas seulement - en faisant payer très cher à ceux qui l’exercent et en sanctionnant de manière appropriée le crime contre l’humanité, notre société va perdre son humanité.

Science sans conscience n’est que ruine de l’âme, disait Rabelais. Crime sans châtiment n’est que ruine de l’Homme, suggérait Dostoïevski. Entendons le.