17 septembre 2015

Guy Béart, ce migrant


La mort de Guy Béart ne laisse personne indifférent mais dit-on assez que cet artiste emblématique de Saint-Germain-des-Prés, cet ambassadeur de la culture française fut d’abord un migrant ? La France oublie trop facilement ce qu’elle doit aux migrants.
Certes la migration a toujours été, est et sera toujours une réalité qui provoquera d’abord des peurs. Mais la raison doit ici être appelée à la rescousse.
Une politique de rejet des migrants aurait privé la France de, par exemple, Maria Salomea Skłodowska, d’Alberto Wladimiro Alessandro Apollinare de Kostrowitzky, de Guy Behar-Hassan, d’Ezra Benveniste ou de Pietro Cardini, qui sont sans doute plus connus sous leurs noms francisés de Marie Curie, Guillaume Apollinaire, Guy Béart, Emile Benveniste et Pierre Cardin. (Encore me suis-je borné à collecter quelques noms en tête d’une liste alphabétique bien plus longue.)
Pour en rester à ces cinq noms, il s’agit d’une scientifique d’exception, venue en France à 24 ans parce que les carrières universitaires étaient fermées aux femmes en Pologne à l’époque, première femme à obtenir un prix Nobel, et seule (homme ou femme) à en obtenir deux dans deux domaines scientifiques différents ; il s’agit ensuite d’un poète majeur du 20ème siècle, sujet polonais de l’Empire russe né en Italie, mort à 38 ans (en 1918) sous l’uniforme français ;il s’agit encore du chanteur que tout le monde pleure aujourd’hui, distingué par le Prix de l’Académie française pour l’ensemble de son œuvre, né au Caire et scolarisé à Beyrouth avant de venir à Paris en quête de son diplôme d’ingénieur ; il s’agit aussi de l’un des plus grands linguistes du 20ème siècle, né à Alep en Syrie (tiens ?) et devenu français à 22 ans. Que dire enfin du représentant emblématique de la haute couture et du bon goût français, né en Italie près de Trévise, qui est par ailleurs un entrepreneur et chef d’entreprise créateur d’emplois, et l’un des Français les connus à l’étranger ?
Pendant que j’y suis, nous devrions aussi nous passer du plus français des Gaulois, Astérix, dont les auteurs sont tous deux nés de parents étrangers, respectivement italiens et polonais.
Alors, quand je vois aujourd’hui la quantité d’ingénieurs, de techniciens et d’autres personnes de haut niveau parmi les migrants syriens et irakiens qui entrent actuellement dans l’Union européenne – et qui ont trouvé le courage et la détermination nécessaires pour entreprendre ce dangereux voyage , je pense que ce sont les pays hôtes qui sont les véritables et indiscutables gagnants.  
Par ailleurs il y a quelques faits à prendre en compte concernant notre avenir. D’après le  commissaire européen Cecilia Malmström  intervenant en 2012 à la Haye lors de la consultation sur les migrants et les réfugiés, si elle était privée d’immigration, l’Union européenne verrait sa population en âge de travailler diminuer de 12% d’ici 2030. Il y a déjà aujourd’hui un déficit estimé entre 380.000 et 700.000 personnes employables dans les technologies de l’information, et d’ici 2020, il y aurait un déficit de deux millions de personnes employables dans le secteur de la santé.
En clair, s’il n’y avait pas eu d’immigration jusqu’à présent, il n’y aurait pas assez de personnel pour s’occuper de ma vieille mère dans sa maison de retraite, et s’il n’y en avait plus à partir de maintenant, il n’y aurait personne pour s’occuper de moi quand  j’en serai à ce point à mon tour !
Comme lors des précédentes vagues d’immigration, celle d’aujourd’hui va d’abord exiger un effort de la part de tous mais une fois que les migrants seront installés, ils seront les bâtisseurs de nos pays, leur nouvelle patrie, dont ils seront demain les Marie Curie ou les Guy Béart.