22 novembre 2005

Violences en France : un appel au changement

Pour la plupart des Français et des étrangers habitant en France, il est sans doute encore bien difficile de mettre de côté son émotion face aux événements qui ont secoué la France depuis 15 jours. Pourtant, il nous faut répondre sans tarder à quelques questions : que retiendrons nous des événements ? Ce qui confirme nos idées préexistantes ? Le fait que nous ayons raison et les autres tort ? Ou bien esquisserons nous un mouvement vers l’Autre ? Allons nous transformer la révolte en construction d’une France plus juste, ou bien allons nous enliser à nouveau dans un égoïsme étroit et préparer de nouvelles crises de violence, sans doute bien plus graves, pour la génération suivante ?

En 1983 déjà, une vague de violence comparable avait parcouru la France, partant du quartier des Minguettes à Vénissieux, près de Lyon : il y eut d’abord ces "rodéos" et déjà ces voitures incendiées, puis ce fut l’« été meurtrier » : dans les banlieues, des jeunes furent pris pour cible par des tireurs embusqués. Un enfant de neuf ans sera même abattu par un ouvrier irascible à la Courneuve un soir de fête du Ramadan, à la veille du 14 juillet. Cette crise avait donné le jour à une initiative remarquable et porteuse d’espoir : la Marche pour l'Egalité et contre le Racisme. Partie de Marseille le 15 octobre 1983 dans l'indifférence quasi-générale, elle fut accueillie le 3 décembre 1983 à Paris par 100 000 personnes dans une ambiance de grande fête nationale. A travers le pays, les jeunes issus de l'immigration mais aussi de nombreux Français s’identifièrent aux Marcheurs, et devinrent des acteurs à part entière de la société française. Cette nouvelle donne bouleversa la perception de l'immigration, le mouvement antiraciste et le paysage politique français. Mais face aux événements d’aujourd’hui, on est bien obligés d’admettre que rien n’a vraiment changé. Nous n’avons rien appris, rien retenu.

Le mouvement en cours est plus difficile à cerner que celui de 1983. Il n'a pas de revendications exprimées, pas de porte-parole, pas de coordination. Cependant il s’est généralisé rapidement à l’échelle nationale. La crise est donc bien plus grave que celle de 1983. C’est comme on dit un mouvement de "ras le bol" généralisé, et un moment de défoulement pour une jeunesse stressée et frustrée. C’est le produit spontané chez de jeunes voire de très jeunes adolescents de la prise de conscience qu'on ne les considère pas comme de vrais Français, que dans la course à l’emploi, ils seront toujours pénalisés. Cela alors que les discours officiels parlent d’intégration et d’égalité des chances, alors que les frontons des mairies continuent d’affirmer imperturbablement Liberté, Egalité, Fraternité. La réalité est de facto niée par les autorités par souci de n’introduire aucune distinction entre citoyens français. Devant ce refus de reconnaître l’existence même du problème, l’explosion était inéluctable.

La crise économique en a été le déclencheur : à Clichy-sous-Bois, à 15 km de Paris, d’où sont parties les premières émeutes, il y a effectivement plus de 50% de chômage chez les jeunes, et ce n’est pas un cas exceptionnel. Mais les causes en sont plus profondes.

Répondre à ces causes suppose une prise de conscience par la société française, et cette prise de conscience passe par une classe politique courageuse, capable d’énoncer et de mettre en œuvre des réformes de fond comme par exemple :

- pénaliser le délit de discrimination de manière rigoureuse, voire spectaculaire. Il faut donc y consacrer une force de police spécifique, crédible par ses effectifs et par ses missions, faute de quoi les articles 225-1 et suivants du Code pénal, qui caractérisent et répriment les délits de discrimination, resteront des vœux pieux.

- établir une égalité de traitement entre les grandes religions pratiquées par les Français, en complétant la reconnaissance dans les faits de la religion musulmane et en valorisant l’apport social et moral de ses porte-parole, mais aussi en accordant une meilleure reconnaissance aux nouvelles églises évangéliques qui se développent dans les banlieues,

- accorder le droit de vote aux élections locales aux étrangers, dont les enfants sont pour la plupart nés en France et donc français, mais n’ont jamais vu leurs parents voter ou s’intéresser aux affaires locales,

- établir l’obligation pour tous les partis de présenter aux élections un nombre significatif de candidats français issus de l’immigration (Pour le moment, aucun des 577 députés français n’en est issu, ce qui est inconcevable étant donné l’importance de la population concernée, de l’ordre de 10% de la population française).

La question du droit de vote des étrangers aux élections locales illustre bien les blocages actuels. La majorité des hommes politiques français s’y oppose, préférant privilégier l’acquisition de la nationalité française, une démarche difficile moralement et pratiquement pour de nombreux étrangers, et qui reste de plus soumise à un accord de l’autorité administrative qui peut la refuser, "pour des motifs d’opportunité".

Pourtant, cette mesure avait été appliquée par les Révolutions américaine et françaises, et dix pays d’Europe l’ont adopté ces dernières années, (sans d’ailleurs provoquer de chamboulement électoral), et le Conseil de l’Europe, dans sa convention n°144 du 5/2/1992, demande que cela soit fait en en clarifiant ainsi les raisons : « Considérant que les résidents étrangers sont, au niveau local, généralement soumis aux mêmes devoirs que les citoyens; conscients de la participation active des résidents étrangers à la vie et au développement de la prospérité de la collectivité locale, et convaincus de la nécessité d'améliorer leur intégration dans la communauté locale, notamment par l'accroissement des possibilités de participation aux affaires publiques locales,… »

En 1981, dans ses 110 propositions, François Mitterrand avait promis d’accorder ce droit de vote des étrangers aux élections locales, mais y a ensuite renoncé, considérant que la société française n’y était pas prête et n’y consentirait pas. En l’an 2000, pour les mêmes raisons, le gouvernement Jospin n’a pas osé défendre devant un Sénat à majorité conservatrice une proposition de loi pourtant déjà votée par les députés.

Résultat net : rien n’a été fait. Comme le disait à la presse Zouheir Ech-Chetouani fondateur de l’ONG ni proxo, ni macho, "il faut rééquilibrer les choses et avoir une certaine justice sociale qui ne soit pas seulement dans les mots mais dans les actes".

Pour faire face aux puissants facteurs de blocage que sont la peur et l’ignorance, Initiatives et Changement a organisé depuis plusieurs années des rencontres entre représentants de la communauté immigrée et français de souche. Surprise ! Le dialogue est une valeur partagée par tous, y compris par la communauté musulmane. « Le dialogue n’est pas un simple instrument mais un état d’esprit », affirmait ainsi le professeur Jaballah, théologien musulman, lors d’une réunion en 2004. « Le Coran appelle tous les croyants à établir le dialogue entre eux. C’est un devoir sacré. Il implique pour chacun une connaissance profonde de sa religion mais aussi des réalités qui marquent l’actualité. » Etant donné les difficulté que vivent les immigrés, un participant musulman à ce débat qualifiait même sa génération de "détruite". Seule la volonté de s’intégrer, de donner le meilleur de soi-même et de s’imposer par ses qualités triomphera de ces difficultés, concluait-il.

Ne gaspillons pas ces bonnes volontés, et mettons en œuvre sans délai les valeurs de respect, de dignité humaine, de solidarité et de dialogue qui sont au fronton de nos institutions, en alliant aux réalisations concrètes du plan d’actions gouvernemental un volet « valeurs ». La construction de la France de demain n’en sera que plus solide.