27 mai 2011

Ratko Mladic, ou l’œuvre d’un nationalisme ordinaire

Ce qui doit nous choquer dans l’arrestation de Ratko Mladic, ce n’est pas le délai de quinze ans qui a été nécessaire pour l’arrêter alors que les derniers criminels de guerre nazis courent encore (ou bien se sont paisiblement éteints dans leur lit entouré de leur famille), ni le fait qu’il ait été caché par les milieux militaires serbes dont il était issu, une certaine solidarité tribale existe de fait entre semblables (voir la réaction instinctive de solidarité de nombreux Français envers DSK). Ce qui est profondément choquant, c’est qu’il ait encore des supporters qui viennent le défendre voire l’acclamer quinze ans après la chute du régime Milosevic malgré ses manquements et ses crimes. Ces gens-là sont-ils de grands malades ? Non, ce sont d’honnêtes gens, de toutes classes sociales, pétris d’un sentiment national exalté, ou plus exactement pétris du sentiment de la supériorité de leur nation, la Serbie. Ce sont des nationalistes comme il y en a tant en Europe.

Comme j’entends les objections fuser, je me précipite sur le Larousse et je rappelle l’échelle de Richter du malheur européen : au premier niveau le nationalisme, un patriotisme dévoyé dénué de tout principe modérateur, à ne pas confondre bien sûr avec le patriotisme lui-même, « attachement sentimental à sa patrie se manifestant par la volonté de la défendre, de la promouvoir » ; au deuxième niveau, le fascisme, un nationalisme exalté doublé d’un parti unique ; au troisième, le nazisme, un fascisme raciste. Au premier niveau on trouve la guerre ; au deuxième, la guerre et la dictature ; au troisième, la guerre, la dictature et les camps de concentration.

Mais faut-il mettre tout le monde dans le même panier ? L’attitude des personnes qui manifestent dans 15 villes de Serbie en faveur d’un criminel de guerre n’est-elle pas différente de celle des animateurs du Front National, de la Ligue du Nord ou du Vlaams Belang ? Leurs idées ne sont-elles pas différentes ? La lecture du programme du Front National souligne plutôt une réelle convergence avec les nationalistes serbes antimusulmans :
« Naguère, quatre piliers supportaient l’édifice national : la famille, l’école, la religion et l’armée. Depuis 1968 surtout, la révolution silencieuse de l’anarchie et du mondialisme les ont ruinés. » (http://www.frontnational.com/?page_id=1116)
« Faute de crédits, non seulement il est impossible [à l’armée française] de recruter beaucoup d’engagés, mais il devient de plus en plus difficile d’avoir un recrutement de qualité. 20 % des nouvelles recrues sont désormais issues de l’immigration originaire du monde musulman. »
(http://www.frontnational.com/?page_id=1153)
« La France, plus vieux pays du monde après la Chine, incarnera pour tous les peuples, le principe de la souveraineté nationale, donc le libre choix par chacun de son destin. Loin de nous placer en opposition avec le reste du monde, comme les menteurs professionnels essaieront de le faire croire, ce programme ne saurait nous aliéner nos véritables amis. »
(http://www.frontnational.com/?page_id=1149)

En Italie, la Ligue du nord fait dans la xénophobie grotesque sans craindre de s’aliéner le reste du monde. En 2010, peu avant les élections régionales, quelques membres de ce parti dont l’eurodéputé Mario Borghezio ont manifesté devant le consulat du Maroc à Milan en scandant « Ici c’est Milan, pas Marrakech » et en déroulant du ruban de sécurité pour symboliser la fermeture du consulat et l’arrêt de « l’invasion ». M. Borghezio a déclaré que son parti « n’accepterait plus la saleté et le chaos créé par les Marocains. » Interrogé sur les raisons de tant de haine, un militant répondit juste : « C’est la position du parti.»

En Belgique, Vlaams Belang, avatar du sinistre Vlaams Blok, se présente comme « un parti populaire sans compromis, nationaliste et républicain pour la Flandre ». Outre la création d’un Etat flamand dans le cadre d’une confédération européenne, son programme fait référence de manière très soft à une « défense active des valeurs et de l’identité européennes ». Les déclarations de son dirigeant Filip de Man éclairent d’une lumière plus crue ce qu’il faut entendre par là : « Nous retournons à la base, à la source: contre l'immigration massive, pour la protection de notre culture européenne supérieure », explique M. De Man, cité dans la Libre Belgique. « Celui qui n'est pas d'accord avec nos normes et nos valeurs, peut prendre son billet d'avion. Un aller simple », conclut-il.

Mais comme au Front national depuis un an, l’effort cosmétique du Vlaams Belang pour apparaître acceptable et respectable bat son plein. Le parti nationaliste flamand l’écrit lui-même : « Nous devons charmer le public et les media avec une approche à la « Tiel l’espiègle » : un style « parlez-vrai » non dénué d’humour et d’ironie. » Candide, leur programme accessible on line (http://www.vlaamsbelang.org/files/visietekst.pdf) précise littéralement qu’il faut au parti :
- une stratégie de communication externe intelligente, doublée d’une stratégie média réfléchie et cohérence (les media n’étant pas un ennemi mais un moyen),
- briser le cordon sanitaire médiatique et politique
- rajeunir le parti
- arrondir le discours et le style, le moderniser et l’adapter aux circonstances
- gagner les classes moyennes (universitaires, leaders d’opinion, les secteurs de la culture et des associations)
- s’inscrire dans tout ce qui va dans le sens des idées du parti (par exemple la critique de l’Islam dont l’influence progresse en Flandre) Fin de citation.

Derrière cet effort pour abuser l’opinion, la tromper comme un bateleur à la Tiel l’espiègle, il n’y a aucun doute que l’idéologie nationaliste la plus étroite subsiste. Lorsque cette idéologie arrive au pouvoir et contrôle les forces armées, le nationalisme se mue en fascisme et cela donne Sarajevo, Srbrenica, les camps de concentration et autres tragédies.

Merci Monsieur Mladic de nous l’avoir rappelé sans détour. N’oublions jamais.