22 juillet 2005

Quand l’ambition personnelle détruit la vision

L’heure est au recueillement après les attentats criminels de Londres. Au recueillement et au respect pour l’attitude courageuse et civique de nos voisins britanniques. Après les bombes allemandes du Blitz, après les attentats de l’IRA, les Londoniens ont à nouveau démontré qu’ils n’étaient pas terrorisables, la meilleure réponse à faire aux terroristes.

Mais il nous faut revenir sur l’étrange aventure olympique qui s’est conclue le 6 juillet, là aussi à la gloire de Londres. La candidature de la France pour l’accueil des Jeux olympiques de 2012 a échoué après avoir fait la course en tête, provoquant une sorte de dépression nerveuse dans l’opinion publique française. Un choc quelque peu disproportionné pour une question qui, sans être tout à fait anecdotique, reste tout de même secondaire devant les grands problèmes du moment.

La déception est à la mesure de l’effort de propagande déployé par les gouvernants français. La droite et la gauche avaient trouvé une cause commune au service de leurs intérêts directs : le maire socialiste de Paris croyait avoir trouvé là le tremplin idéal vers un destin présidentiel, le président de la République y voyait une occasion de communication positive qui compenserait les terribles effets de sa déroute au référendum européen. Non seulement la classe politique s’était persuadée que les JO de 2012 ne pouvaient plus nous échapper, mais encore elle avait commencé à se mettre en place pour récolter au mieux les fruits de ce succès.

Et nous voilà coiffés sur le poteau par les outsiders anglais, des outsiders certes souvent à la limite du hors-jeu, mais sans doute du bon côté de la limite, puisque le CIO n’a pas cru devoir les sanctionner !

Mais les Anglais n’auraient pas pu réussir sans l’aide … des hommes politiques français. Tout à leur promotion personnelle, nos grands leaders ont écarté les meilleurs ambassadeurs de la candidature française. En face de la star de l’athlétisme britannique Sir Sebastian Coe, on n’a vu en première ligne aucun de nos athlètes médiatiques. L’un des promoteurs de la candidature française les plus reconnus au sein du CIO, Michel Barnier, a été évincé avant la fin de la campagne « Paris 2012 » pour cause de purge post-référendum.

Et puis n’oublions pas les gaffes, bévues et bavures. Jean-Claude Killy, triple médaillé d’or des jeux de Grenoble 1968 et organisateur des jeux d’Albertville, commentait ainsi (dans L’Equipe du 8/7/2005) la défection des Européens de l’est envers Paris : « Notre image est aujourd’hui celle du rejet. Du refus de l’autre. Du nanti qui repousse le plus pauvre. Nous avons une image d’égoïstes depuis le non à la constitution européenne, en particulier envers les pays de l’Est. Comment voulez vous recevoir quelque chose d’une personne que vous repoussez ? ». Une autre personnalité française du Comité international olympique en donne un éclairage complémentaire, rapportée par le magazine l’Express : les propos que le président Chirac avait tenus lors du débat sur la guerre en Irak, à l’encontre des pays de l'Est, en général favorables à la ligne américaine, nous ont coûté cher. Ceux-ci furent taxés de pays «pas très bien élevés», qui avaient « perdu une bonne occasion de se taire » par un président français qui attendait visiblement de leur part une subordination aux positions franco-allemandes. Il n’est pas surprenant que les nouveaux entrants dans l’Union européenne aient voté pour Moscou au premier tour, Madrid au deuxième, puis Londres au troisième …

Décidément incorrigible, le président Chirac a encore ironisé sur les faiblesses de la cuisine finlandaise, quelques jours avant le vote du CIO. Il y avait hélas plusieurs délégués finlandais à Singapour !

Tony Blair s’est montré en revanche très à son avantage ces derniers temps. Non seulement il donne l’impression d’avoir des idées pour la suite des affaires européennes et pour son pays, mais encore il s’est montré admirable tacticien, sachant tirer les ficelles et mobiliser toutes les énergies pour servir ses objectifs. Il a su, par exemple, avec l’aide de son ami Bob Geldof, susciter une véritable mobilisation populaire en faveur de la cause de l’aide pour l’Afrique et des objectifs du millénaire : à trois jours du G8, chacun des leaders des grands pays avait eu dans son propre pays un concert de rock militant avec une forte participation marquant une demande de sa propre opinion publique en faveur d’un succès du sommet de Gleaneagles !

Toutefois, on peut se demander si les JO à Londres, ce n’était pas « un pont trop loin » : raviver au sein de l’opinion française l’idée que la perfide Albion est toujours prête à faire un mauvais coup à la France, cela revient certainement à se compliquer beaucoup la tâche de pilotage de l’Europe pour les six prochains mois. Les Britanniques ont déjà dû provoquer l’échec du sommet de Luxembourg, qui leur était nécessaire pour faire table rase du passé et pouvoir proposer des idées nouvelles pendant leur présidence de l’Union européenne. Cet échec a été obtenu par des méthodes peu élégantes, puisque la délégation britannique a même dû refuser une offre de réduction de leurs propres subventions de la part des pays d’Europe centrale ! Il n’était peut-être pas nécessaire de compliquer l’équation encore davantage avec cette affaire de JO.

Il ne nous reste plus qu’à souhaiter que le magicien Tony Blair réussisse à retourner cette situation difficile en sa faveur, et en faveur d’un nouvel élan européen. Au moins, on ne pourra pas reprocher à Tony Blair son manque de vision.