21 octobre 2023

Guerres israélo-arabes : il est temps d'y mettre fin dans la justice

Les commentaires échangés après les événements dramatiques de ces derniers jours sont centrés sur l’horreur de la barbarie et le rejet de l’extrémisme. Ce sont certes les premières idées qui viennent à l’esprit sous le coup de l’émotion. Mais l’analyse doit aller plus loin. Quelles sont les causes de ces désordres ? Quelles solutions peuvent être entrevues au milieu de l’horreur et des massacres ?

Une série de guerres sans fin ? 
Il y a d’abord eu un concert de protestations à l’encontre de l’attaque terroriste perpétrée avec sauvagerie par le Hamas qui a fait sans doute plus de 1200 victimes civiles y compris des enfants de tous âges. L’émotion a à présent changé de camp, avec les représailles comme d’habitude disproportionnées exercées par l’Etat d’Israël sur les Palestiniens, au-delà des limites que permettent les lois de la guerre qui, ici comme en Ukraine, sont largement ignorées par les belligérants. C’est d’ailleurs le résultat du calcul cynique fait par le Hamas : en  provoquant l’Etat d’Israël par une attaque absolument horrible, obtenir en retour de quoi faire le condamner au titre de ses inévitables représailles, et mobiliser à nouveau le monde musulman en ramenant le conflit à une supposée guerre de religion – oubliant au passage la religion chrétienne, également présente chez les Palestiniens depuis l’époque où Jésus prêchait dans la région. En nous en indignant, nous sommes donc tous les relais d’une manipulation machiavélique de grande envergure, sans doute orchestrée par des stratèges iraniens. Mais en même temps, les faits sont là : avec plus de 3000 morts en grande majorité civils, et une crise humanitaire provoquée délibérément qui frappe indistinctement les deux millions de Gazaouis, les représailles dépassent les limites du supportable. Il est temps d’exiger l’arrêt total de ce type d’action de contre-terrorisme qui sont elles-mêmes devenues des actions terroristes.
Destructions à Gaza en octobre 2023

Certes, je ne veux pas ignorer que les juifs connaissent aujourd’hui l’incertitude et même la  peur, dans nos pays comme en Palestine, et c’est en soi insupportable. Je suis très sensible au destin tragique du peuple juif. La communauté protestante française s’est distinguée pendant la seconde Guerre mondiale par les risques qu’elle a pris pour protéger les juifs persécutés et ma famille conserve la mémoire de deux de ses membres qui ont leur arbre au mémorial de la Shoah à Jérusalem entant que « justes parmi les nations ». Mais, précisément avec cet historique, comment ne pas être frappé d’emblée par l'analogie entre le peuple persécuté d’alors et celui d’aujourd’hui ? Il y a un peuple qui est le juif errant d’aujourd’hui, privé de foyer national et droits, et souvent privé de solidarité de la part des autres nations, y compris arabes. Vous aurez reconnu le peuple palestinien. J’ai été également sensibilisé à son destin tragique par des rencontres et des amitiés personnelles avec des individus directement impliqués.

Ce qu’on évite presque toujours de rappeler, c’est que le drame interminable israélo-palestinien est le résultat d’une succession d’événements dans lesquels les puissances européennes ont largement trempé : le partage du monde, y compris méditerranéen, par les grandes puissances, notamment après le démembrement de l’Empire ottoman ; la longue pratique de l’antisémitisme en Europe, jusques et y compris la terrifiante affaire Dreyfus, qui conduit les juifs à souhaiter la création d’un foyer national où, pour une fois, les juifs pourraient vivre en sécurité, les nationalismes européens, nés du détournement de la Révolution française par Bonaparte, qui conduisent à de multiples guerres, à la tragédie de la Grande Guerre et aux folles promesses des Anglais aux sionistes, la shoah qui accélère la création d’un État juif, la guerre froide qui pousse les uns dans les bras des Soviétiques et les autres dans ceux des Américains… Une longue série de défaillances et trahisons des droits humains où les Arabes n’ont qu’une responsabilité bien modeste…

C’est d’ailleurs pourquoi l’Europe, on l’ignore trop, ne reste pas sans réaction. La France gaulliste a lancé au début des années 1970 un dialogue euro-arabe visant une coopération accrue entre l’Europe et les Etats arabes. Elle y entraîne ses partenaires européens et, dès 1975, la CEE amorce des relations avec l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP). L’Union européenne est aujourd’hui le premier fournisseur d’aide au développement de la Palestine, devant les Etats arabes ou les Etats-Unis, et d’autres puissances qui sont surtout prodigues de belles paroles. Pour la période 2021-2024, 1,117 milliard d’euros sont prévus par l’UE à destination des Palestiniens. Cet argent permet à la Palestine de financer des secteurs clés tels que l’éducation ou encore la santé, même si bien souvent les bâtiments reconstruits avec du financement européen sont ensuite détruits par des bombardements israéliens.


Des vies détruites

Trop de commentateurs, notamment ceux qui interviennent sur les chaînes d’information permanente, jugent l’action des uns et des autres sans tenir compte des souffrances des peuples. La plupart des jeunes Palestiniens embrigadés par le Hamas et impliqués dans l’attaque terroriste du 7 octobre sont nés pendant la seconde intifada (2000-2005). Leur seule expérience de la vie a été l’occupation israélienne, puis les sièges et la dévastation des assauts militaires répétés contre cette enclave de 365 km2 avec des taux de pauvreté et de chômage d’environ 50%. Comment peut-on vivre à 2 millions de personnes sur un territoire dont la densité de population, frise les 6000 habitants au km2 (oui six mille, presque autant que la densité de Hong Kong), sans possibilité de quitter le territoire, avec la perspective d’essuyer à intervalles plus ou moins rapprochés des bombardements israéliens ? N’était-il pas choquant, dans l’absolu, de tenir une rave party juste à côté de ce bantoustan surpeuplé et désespéré ? De prétendre construire une paix quand les uns sont installés confortablement dans des pavillons sécurisés et les autres entassés dans des immeubles en mauvais état, et régulièrement soumis à des bombardements ? (Bombardements qui ont fait plus de 5000 victimes en dix ans, avec leur lot de femmes et d’enfants… mais dont les visages ne sont pas autant présents que celles des victimes de l’attaque terroriste du 7 octobre.) N’est-il pas prévisible que lorsqu’un gouvernement base toute son action sur la force et la politique du fait accompli, élevant le mépris du droit international au rang de vertu, construisant un mur au-delà de ses frontières reconnues, et pratiquant le peuplement d’un territoire annexé de manière aussi éhontée qu’illégale, il finisse par provoquer une réaction tout aussi violente ? Qui sème le vent récolte la tempête, dit un proverbe français… Si l’opinion israélienne pouvait à l’occasion du drame actuel, réaliser que les promesses de Bibi Netanyahu étaient fallacieuses et mettait en danger ce qu’elles prétendaient protéger, il y aurait au moins un point de lumière dans un paysage bien sombre.

Trop de commentateurs, sur les mêmes plateaux de télévision, attribuent de plus la responsabilité des événements à la religion musulmane, directement ou indirectement, via sa version la plus militante, investie dans le domaine politique. C'est bien sûr là céder à la tendance naturelle de l’être humain : la désignation de boucs émissaires permet de préserver son estime de soi, y compris – voire surtout – quand on craint d’être mis en cause… Cela dit, que l’islam comporte un élément de valorisation de la violence, ce serait un peu difficile de le nier quand des religieux, notamment parmi les leaders iraniens, se réjouissent ouvertement du massacre des innocents perpétré par le Hamas. Mais nos idéologies et nos religions sont-elles si différentes de l’islam sur ce point ? Faut-il feuilleter très longtemps l’Ancien Testament avant de trouver des récits ou même des commandements qui donnent en exemple des comportements d’une extrême violence ? Faut-il rappeler que, malgré l’enseignement indiscutablement pacifiste du Christ, les théologiens chrétiens, y compris certains des plus grands, ont eu tôt fait de saisir de bien minces prétextes pour bâtir des justifications de la guerre et des conversions forcées ? Pour autant, faut-il y voir une tare congénitale du christianisme ou bien la construction a posteriori d’une justification théologique de choix politiques préexistants ? (Ce qui, selon Jacques Ellul, a participé de la « subversion du christianisme. ») Faut-il jeter le bébé avec l’eau du bain, en méconnaissant tous les apports du christianisme, source d’innombrables et admirables œuvres d’éducation et de solidarité (dont l’hôpital al-Ahli de Gaza, touché par une explosion meurtrière le 17 octobre) dirigé et financé par l’Eglise épiscopalienne de Jérusalem, ou encore la Croix-Rouge/Croissant-Rouge),  voire de mouvements de résistance à l’oppression ? Le judaïsme et le christianisme n’ont-ils pas, chacun pour leur part, glorifié des épisodes sanglants de leur histoire ? La question est de savoir comment ces idées violentes ont été ou peuvent être contrebalancées, et finalement rejetées au rang d’idéologies dangereuses désertées par la majorité des intellectuels et des croyants.

Comment pouvons-nous continuer à faire société commune, musulmans et non musulmans, juifs et non-juifs, chrétiens et athées, sans rétablir le dialogue ? Ne cédons pas à la propagande qui veut toujours accuser, ostraciser, radicaliser, d’ailleurs sans sembler comprendre que la violence est une voie qui n’a d’issue qu’à condition de savoir en sortir. Sauf à aboutir à la destruction totale des régions en conflit et à des sacrifices massifs parmi les populations, il faudra bien un jour que des accords interviennent avec une prise en compte des prétentions légitimes des peuples actuels quelle que soit l’ancienneté de leur légitimité revendiquée sur tel ou tel territoire. 

Exode des Allemands vers l'ouest en 1945

J’ai été inspiré de voir, lors d’une récente visite en Silésie, province du sud-ouest de la Pologne, que, dans ces territoires qui ont connu un nettoyage ethnique de grande ampleur en 1945, les Allemands ont aujourd’hui accepté l’expulsion de près de 5 millions de leurs concitoyens de ce territoire (sur les quelque 12 millions expulsés d’Europe centrale et orientale). Des expulsions qui se sont d’ailleurs accompagnées de la mort violente de plus d’un million de personnes. Malgré l’opposition des associations de réfugiés de l’Est, l’acceptation de cette expropriation a été conclue en 1990 par le traité de Moscou, quarante-cinq ans après les événements. Les Allemands présents à la réunion à laquelle je participais en Pologne ont parlé sans haine de leurs origines silésiennes, de leurs visites dans les villages ou les villes où leurs grands-parents étaient nés... Des témoignages de la coopération germano-polonaise s’affichent ici ou là sur des bâtiments historiques rénovés. Autrement dit, puisque, 85 ans après le début de la première guerre israélo-arabe, il apparaît que les deux peuples ne peuvent pas s’entendre sans aide extérieure, il est temps que la communauté internationale s’unisse pour exiger des concessions symétriques des deux parties : de la part de tous les mouvements qui représentent les Palestiniens la reconnaissance de l’Etat d’Israël dans ses frontières de 1967, ce qui aura le mérite de retirer un argument-clé à la droite israélienne ; et d’autre part l’arrêt des actes contraires à la légalité internationale et un engagement à respecter les décisions des Nations-Unis par l’Etat d’Israël. Cette politique serait meilleure, notamment de la part de l’Europe, que celle qui consiste à accepter de se mettre à la remorque des extrémistes d’un bord ou de l’autre.

La solution au conflit et l’unité de notre société, appelée de ses vœux par le président Macron, sont au prix de concessions mutuelles sur les revendications et d’une absence de compromis sur les valeurs.

Crédits photos, de haut en bas : Assaf Kutin, State of Israel Government Press Office ; Fars News Agency  ; RafahKid Kid, via Wikimedia Commons ; Deutsches Bundesarchiv

 

 

Libellés :

2 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Well done your call for wisdom Antoine

7:35 PM  
Anonymous Anonyme said...

C'est exactement ce que toute personne sensée, au courant de cette horrible situation, doit penser et espérer. La radicalisation des extrémistes juifs, qui alimente les colons, mérite une attention. spécifique.

3:58 AM  

Enregistrer un commentaire

<< Home