30 novembre 2009

Minarets en Suisse : un abus de démocratie

Le résultat du référendum suisse interdisant les minarets a surpris, choqué ou laissé sans voix les responsables des mouvements politiques, religieux et sociaux suisses quasi-unanimement engagés contre ce projet de loi assimilant les minarets à des armes offensives.
Ce n’est pas la première fois que de telles « surprises » se produisent. Cette situation fait fortement penser au résultat du référendum sur le projet de traité constitutionnel européen en 2004 : là aussi, à part quelques extrémistes et personnalités isolées en mal de notoriété, personne ne soutenait le « non » et pourtant, on s’en souvient, il l’a emporté en France et aux Pays-Bas et a, au passage, bloqué tout progrès de l’Europe pendant cinq ans. Aux Pays-Bas justement, il y a eu un épisode tragi-comique de la même eau lorsque, le 15 novembre 2004, la télévision néerlandaise organisa l’élection du plus grand Néerlandais de l’Histoire. A l’issue du programme, ce fut le leader populiste Pim Fortuijn, qui, à la surprise générale, coiffa sur le poteau le père de la nation, le prince Guillaume d’Orange lui-même ! Alors que les Anglais, dans l’émission qui avait servi de modèle, avaient sagement élu Winston Churchill. On s’avisa, mais un peu tard que les membres du parti de Pim Fortuijn, Leefbaar Nederland, avaient mobilisé le ban et l’arrière-ban de leurs sympathisants et méthodiquement pris d’assaut le standard de l’émission...

Je sais que je vais choquer plus d’un lecteur, mais cette histoire amusante illustre bien ce qui ne va pas dans l’idée suisse de démocratie directe : c’est ce risque permanent de détournement du pays par une minorité déterminée. La recette de l’échec est l’assemblage mortel d’un dédain des élites pour des questions sans intérêt ou mal comprises par une partie de la population et un appel à la peur et aux instincts de survie, le tout sur fond de participation électorale chancelante et d’une mobilisation des extrémistes.

On ne peut pas, sans préparation suffisante, poser n’importe quelle question au corps électoral. En particulier lorsque la question ne porte pas sur les choix classiques droite/gauche, choix de programme de gouvernement sur cinq ans, choix des édiles municipaux, etc. auxquels le corps électoral est rôdé et entraîné.
Comment l’électeur peut-il, en quelques semaines, analyser des questions entièrement nouvelles que les spécialistes eux-mêmes débattent sans toujours pouvoir en faire ressortir tous les enjeux ? Comment faire jouer son bon sens dans des situations inédites où il est impossible de s’orienter ? L’utilisation du référendum est dans ce cas un abus de démocratie, un abus particulièrement dangereux pour la démocratie elle-même.

Imaginons que Robert Schuman, au lieu de faire passer son projet de Communauté du Charbon et de l’Acier en catimini à la fin d’un conseil des ministres ait eu la brillante idée d’organiser un référendum sur la question. Il est certain que cet acte fondateur de l’Europe eût été rejeté par une majorité écrasante des Français – on était en 1950, à peine cinq ans après la fin des atrocités de la guerre, on imagine que les désordres internes de l’Europe se seraient alors poursuivis, pourquoi pas jusqu’à de nouveaux conflits.
Imaginons que demain la Suisse alémanique se pique de faire de l’allemand la langue unique de l’administration fédérale. N’y aurait-il pas assez facilement sur une telle question la majorité des électeurs (dont les deux tiers sont germanophones) et celle des cantons (80% des cantons sont à majorité germanophone) ? D’ailleurs les instigateurs du mauvais coup de dimanche dernier ont déjà des tas d’idées en réserve : référendum contre le burka, contre l’excision, etc.

Bref, les Suisses n’ont pas fini de voter ! A moins qu’ils ne mettent en chantier des réformes institutionnelles afin de ne plus encourager la confusion entre la démocratie et la démagogie, ils risquent tomber entre les mains d’un groupe d’extrémistes conservateurs et xénophobes et devenir l’équivalent occidental de l’Iran d’Ahmadinejad. Une destinée dont j’espère qu’il y se trouvera une majorité de Suisses pour la refuser.